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Critiques de Albert Aoussine (1)
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Polemos & Pharmakon

Préface



Pas sûr qu'avec ce livre, Albert Aoussine ne se fasse que des amis. Mais n'est-ce pas là au fond le propre de tout livre qui se pose comme un acte de guerre. D'emblée, le philosophe annonce vouloir philosopher dans le sillage de la philosophie féroce, propose un travail de sape et de démolition des idoles. Telle est, selon le philosophe, la tâche première de la philosophie. Tel est également le combat à mener, car il s'agit bien d'une polémologie, d'une philosophie guerrière et combattante dans un sens spirituel – toute guerre n'est-elle pas par essence spirituelle – qu'il s'agit d'élever au rang d'art pour libérer l'avenir de ce qui aujourd'hui le défigure. Les idoles par essence sont trompeuses et mensongères et si les hommes leur vouent un tel culte, c'est qu'ils oublient qu'ils portent en eux la possibilité de se réaliser dans leur vérité d'être. Aoussine rappelle ainsi avec une grande justesse que Platon prit soin de distinguer le philosophe du philodoxe qui reste attaché aux apparences et simulacres du monde sensible sans remonter à l'Idée qui leur préexiste. Aoussine établit une filiation entre les philodoxes, les sophistes, et les hommes de religion qu'il accuse – le mot n'est pas de trop, nous y reviendrons – de vouloir davantage nous tromper et nous asservir que de nous ouvrir la voie du « salut ». Une bonne partie du livre est consacrée à distinguer la philosophie de la théologie dont Aoussine regrette qu'elle s'en fasse la servante. Elles sont, d’après lui incompatibles et ne peuvent coexister ensemble. Elles sont au contraire en lutte permanente puisque toutes deux entendent conduire l'homme à se connaître en vérité et il est clair que pour Aoussine, cela ne se fera jamais par la médiation de Dieu. Son parti pris semble marqué du sceau de l'athéisme. Et Dieu, selon le philosophe, n'est qu'une idole parmi d'autres dont il faut apprendre à se libérer. Aussi, Aoussine entame un travail de déconstruction des trois grandes religions du livre et, dans la dispute qu'il mène avec Souleymane Bachir Diagne en ouverture, combat le théologien qui prétend parler au nom de la philosophie. Son livre prend alors l'allure d'un violent brûlot antireligieux : nul n'est épargné et les trois religions sont accusées d'obscurantisme. « J'accuse » est d'ailleurs le titre d'un texte magnifique qui dénonce les méfaits de la dictature au Cameroun et qui plaide pour un retour de la justice, de l'égalité et de la liberté. Un projet se dessine alors : penser et repenser l'Afrique – ce qui équivaut à faire œuvre de médecin qui panse des plaies dont voici celles que retient en priorité le philosophe : « la plaie cancérigène des religions coloniales et le poids des traditions obscurantistes. » Il passe ainsi au crible un certain nombre de courants qui entendent redonner à l'Afrique toute sa grandeur, mais qui se fourvoient en réalité dans la tâche. Le courant spirituel dont il semble être le plus proche toutefois est l'animisme où « l’individu en vient à s’humaniser progressivement, car s’humaniser, au sens profond du terme, c’est vibrer en phase avec l’ordre cosmique, c’est renouer avec l’harmonie primordiale, originelle. » Quand il s'interroge sur ce qui fait l'essence de l'homme et du peuple noir, il souligne : « Chez le peuple noir, l’ordre métaphysico-théologique, en tant qu’il embrasse tout le champ du réel, du physique, du matériel à l’immatériel, sans faire l’économie de quoi que ce soit, invite déjà au respect de la vie, à sa sacralisation, et incite au respect de la hiérarchie du vivant, autant qu'à ce qui nous échappe, disons le sans-nom. Aussi, l’Altérité ou le tout Autre ou encore ce qui diffère de nous, quel qu’il soit, n’est nullement objet de conflit, blâme, rejet, exclusion ou mépris. » L'ouverture au Tout-Autre et à ce qui nous échappe et le respect du caractère sacré de la vie sont inscrits même dans la culture Africaine depuis l'origine. L'herméneutique existentielle à laquelle se livre Aoussine le conduit à souligner tout ce qui fait les spécificités de l'esprit africain. Que ce soit sur le plan littéraire avec la polyphonie des genres, sur le plan historique et politique, sur le plan philosophique... Avant qu'il n'engage une nouvelle dispute avec trois historiens de la philosophie (Grégoire Biyogo, Jean-Godefroy Bidima, Nsame Mbongo). Sans rentrer dans le détail, nous dirons qu'il les combat avec verve et leur fait subir l'épreuve de l'Organon sur leur propre terrain : celui de la philosophie africaine qu'il entend faire renaître en Phénix. L'ouvrage se poursuit avec une carte postale de la diaspora africaine dont le philosophe sonde tous les aspects, une réflexion passionnante sur la littérature africaine ou plutôt les littératures, leur situation actuelle et leur devenir possible, et il se clôt sur l'appel à une philosophie du développement conçue « comme une pensée-action spécifique et non générale » et dont Aoussine prétend être le dépositaire et le gardien. Il y a bien de la verve et de l'élan dans cet essai qui ouvre des perspectives nouvelles pour la philosophie africaine. Albert Aoussine court le risque de passer pour un philosophe radical. Mais n'est-ce pas le prix à payer pour marquer son temps et faire œuvre et acte de philosophe ?



Ta chance est que ton regard se situe au confluent du philosophique et du poétique. Et en cela, tu te fais fidèle en effet à la philosophie moderne. Je pense à Nietzsche, aux philosophes de la déconstruction, mais aussi à tous les penseurs pour qui la philosophie est en dialogue avec les autres disciplines du savoir ou de la connaissance humaine plus généralement.



Julien Miavril



Strasbourg, le 25 mai 2021



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