En effet, l’amour ne surgit pas comme une mouette planant dans l’espace. Peut-être l’amour est-il semblable à l’écho et doit-il forcément être répercuté par l’écho. Un cœur fort donne naissance à l’amour, qui s’en échappe par vagues invisibles, frappe un autre cœur et, s’il suscite une réponse, revient à l’envoyeur – et ainsi échangent-ils d’imperceptibles ondes, des paroles inaudibles, destinées à eux seuls, l’amour vivant tant que les cœurs sont capables d’identifier les signaux échangés.
Le soir, après le dîner, elle sortait avec de gros sacs dans les deux mains. Elle se sentait mieux en hiver, au crépuscule, alors que l’été elle n’était manifestement pas dans son assiette. Oui, il y a des gens comme ça, et Koltcha en faisait partie.
Il arrivait que, sentinelle vigilante, il se lève sur son passage. Il restait debout sans rien dire – se contentant d’observer. Dacha la Rombière détournait le regard pour examiner les murs sans aucun intérêt de l’internat. L’été, elle gardait les yeux fixés au sol et, à la vue de Koltcha, accélérait son petit pas trottinant.
Manche de hache avait acquis cette habitude en dixième, mais à l’époque, quand il croisait le chemin de la cuisinière, il la saluait. Elle souriait largement, se figurant qu’il se débrouillait encore mal avec l’invisible, qu’il ne soupçonnait pas grand monde, et portait encore moins de jugement.
Mais en grandissant, Koltcha cessa de la saluer ; en effet, c’était ridicule, ils se voyaient au moins trois fois par jour – au petit-déjeuner, au déjeuner et au dîner. Dacha la Rombière s’asseyait encore souvent près de lui, exprimant toujours la même chose, le théorème ne variant que par les termes employés ; elle lui apportait du rabe, alors la saluer le soir aurait été stupide. Il se contentait de se lever et de la contempler, les mains dans les poches, en silence, et se posait toujours la même question : pouvait-on sincèrement avoir de la compassion pour lui et les autres et voler quand même ?
Ce fut finalement une véritable parade, semblait-il, c’est en effet ainsi qu’on appelle les moments les plus solennels au cirque, quand tous les artistes sortent en manège avec des bannières, en beauté, en costume étincelant d’or et d’argent, dans des vêtements des couleurs les plus vives – la musique retentit, le cirque brille de tous ses feux, et qu’on le veuille ou non, tout en soi bouillonne, la joie réchauffe, mais un frisson nous parcourt des reins à la nuque et on se surprend à se dire qu’on n’est plus maître de soi-même, mais qu’on est dirigé par ce manège circulaire et cette musique sonore.