La parole
Digne d’un conte est le pouvoir de la parole :
Des mondes vrais elle fait une illusion,
De l’ombre périssable un éternel symbole,
Et du jour disparut le jour que nous vivons.
Elle peut rappeler ceux qui sont dans la tombe.
Cède-t-on à son charme, on devient tout-puissant :
On se transporte en tous les temps, en tous les mondes,
Et l’on vit des milliers de vies en un moment.
À peine elle vous touche et vous qui n’êtes guère
Qu’un pauvre instant qui tremble entre deux infinis,
Vous survolez l’amas confus de l’univers
Et de sa vanité vous connaissez le prix.
Dans les cœurs elle allume ou l’amour ou la haine,
Elle fait que l’on vit, elle fait que l’on meurt,
Et les peuples entiers qu’à leur perte elle mène,
Elle peut aussi bien assurer leur bonheur.
Vous qui avez reçu pour mission sacrée
D’être les célébrants de ce vaste pouvoir,
Vous dont l’âme remue une immense marée
D’éternelles douleurs, d’incessants désespoirs
Et de pensées sans âge en tout un peuple écloses,
Ne faites pas offrande à des blasphémateurs
De ce don merveilleux dont votre voix dispose
Mais, comme aux saints autels est versé dans nos cœurs
De la communion le mystère suprême.
Le verbe, c’est ainsi qu’il vous faut le répandre
Afin que par milliers les cœurs battent d’eux-mêmes
Afin que par milliers les siècles vous entendent.
(Adaptation de Jean Rousselot)