LA FILLE DE L’HOTESSE
Trois étudiants un jour le Rhin passèrent ;
Chez une hôtesse en chantant ils entrèrent.
« Madame l'hôtesse, avez-vous du vin vieux?
Et comment va votre fille aux doux yeux?
— Mon vin est vieux, est bon, fraîche est ma bière;
Ma fille est prête à porter au cimetière. »
Et quand leurs pieds eurent franchi le seuil,
Elle était là, couchée en son cercueil.
L’un d’eux leva le drap jeté sur elle ;
Triste il sourit à la morte si belle :
« Si dans ton sein ton cœur encor battait.
Le mien, ô belle dès ce jour t’aimerait. »
L’autre aussitôt rabattit le suaire,
Et, se tournant, essuya sa paupière :
« Ah! faut-il donc te perdre sans retour,
Toi que j’aimai d’une si longue amour ! »
Et d’une main tremblante le troisième
La découvrit, baisa sa lèvre blêmes
« Je t’aimai, t’aime, et toujours t’aimerai,
O douce ami, jusqu’au jour que j’ mourrai. »
Bien que la langue des arts soit moins précise et plus générale que la parole, que chacun de ses signes réponde moins à une idée arrêtée, définie, et toujours la même, néanmoins il y a aussi dans la langue des arts certains rapports naturels, fixes, fondamentaux, entre certains signes et certaines idées qu’ils expriment et réveillent toujours. Ainsi nous associons plus particulièrement des idées de tristesse ou de joie à certains rythmes, à certains mouvements, à certains tons. Nous attachons des idées déterminées à certaines formes, à certaines couleurs, à certains gestes, qui nous retracent la légèreté ou la force, la noblesse ou la vulgarité, la langueur ou l’énergie.