AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de cocomilady


"Depuis combien de temps fuyait-il ? Il avait perdu le compte des jours. Un aboiement
lointain le fit sursauter. Il se retourna avec appréhension. Avaient-ils finalement décidé de
lancer les chiens à ses trousses ?
Mais le chemin derrière lui était désert. Le cœur encore battant, il reprit son avancée,
serrant contre lui sa cape déchirée pour se protéger du froid mordant de l’hiver. Pour la
première fois de sa vie, l’oracle était un homme traqué, affamé, et privé de tout pouvoir.
La chute de la reine Alvira avait annoncé sa propre déchéance, et il avait dû fuir en hâte de
Shakan-Karak, la capitale du Drackenmaar. Nul besoin d’être devin pour prévoir le sort
funeste que lui aurait réservé la nouvelle maîtresse des lieux, s’il était resté…
Une fois hors des murailles de la forteresse, il avait tenté d’user de son don pour semer ses
poursuivants. Il n’avait vu que le néant. Le souvenir de cet instant où il avait compris qu’il
n’était plus rien était encore si vivace qu’une bouffée d’angoisse l’étreignit et lui fit perdre
l’équilibre. Il tituba sur quelques mètres, avant de tomber à genoux sur le chemin verglacé qui
serpentait vers la montagne.
La faim lui tenaillait le ventre, et les spasmes violents qui le contractèrent lui arrachèrent
des larmes. Depuis bien longtemps, il ne se nourrissait que de baies trouvées au hasard de sa
route. Il n’avait plus que la peau sur les os, et son visage émacié aux orbites creuses le faisait
paraître plus mort que vivant.
Il inspira profondément afin de faire refluer sa panique et les vertiges causés par son jeûne
forcé. Il ne pouvait s’attarder. Le jour déclinait, et il lui fallait encore trouver un abri pour la
nuit.
Un grincement d’essieu lui fit soudain redresser la tête. Un homme trapu avançait vers lui
en tirant une carriole à la force de ses bras. En apercevant la silhouette noire qui lui faisait
face, l’inconnu s’immobilisa, et son front se plissa d’inquiétude.
— Je ne sais pas ce que tu cherches, vagabond, mais il n’y a rien pour toi par ici, dit-il.
Quitte cette contrée avant que les soldats te trouvent et te pendent. L’oracle déchu éclata d’un rire hystérique. Lui, la voix des puissances, le conseiller influent
d’une reine, autrefois craint et respecté, en était donc réduit à être pris de haut par un paysan.
Quelle cruelle ironie !
L’homme à la carriole fronça les sourcils. Il n’aimait pas que l’on se moque de lui.
— Dégage de mon chemin si tu ne veux pas que je te caresse les côtes avec mes poings,
mendiant !
Le fuyard tressaillit sous cette nouvelle insulte, et son rire cessa abruptement. Ses doigts se
refermèrent sur le morceau de bois effilé qu’il gardait dans sa manche. Avant que sa cible
n’ait pu esquisser le moindre geste, l’oracle se jeta en avant et lui planta son arme improvisée
dans la poitrine.
Le bois éclata en escarbilles sous la force du coup, tandis que le gros homme hurlait de
douleur et de surprise. Il vacilla en arrière et s’effondra contre sa carriole.
Avec des gestes mesurés, l’oracle se baissa pour ramasser une pierre sur le sol. Un sourire
froid étira ses lèvres, donnant à son visage l’aspect d’un masque de cire. Il s’approcha de sa
victime gémissante, qui leva une main implorante vers lui.
— Attends… je…
Mais l’oracle ne lui laissa pas l’occasion d’en dire plus. Il abattit de toutes ses forces la
pierre sur le crâne du malheureux, le tuant sur le coup. Il frappa pourtant une deuxième fois, puis une troisième, fasciné par la vue du visage sanglant qui perdait ses contours à chaque
nouveau coup. Lorsqu’il en eut fini, sa cape était couverte de sang et de chairs pulvérisées.
Il contempla son œuvre atroce, sans cesser de sourire. C’était la première fois qu’il tuait de
ses mains et la sensation était grisante. L’espace d’un instant, il était redevenu tout-puissant.
Qu’importe la perte de son don. Il trouverait le moyen d’atteindre celle qui l’avait dépouillé
de tout. Il y consacrerait désormais sa vie.
Il n’était plus l’oracle. Il serait Grim, celui qui avance masqué. "
Commenter  J’apprécie          10









{* *}