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Citation de cocomilady


"Les mots

« Le véritable esprit consiste à en faire venir aux autres. »

Philippe BEAUSSANT

Voilà donc, en une phrase, la synthèse de deux vies liées par le sang et le talent : celles des frères Goldman. Qui se prive de la lecture de Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France1 ne connaîtra jamais la littérature qui empale. Qui n’a jamais écouté les textes de « Né en 17 à Leidenstadt », « Les choses », « Il y a », etc. n’a jamais pris une averse. Car c’est bien ce que sont les mots de Pierre et Jean-Jacques : une ondée carabinée, une saucée de tous les diables, un truc qui vous trempe jusqu’à l’âme, fait nager le crawl à vos émotions, vous submerge… tant c’est joliment dit, d’abord, mais tant ça fait réfléchir, surtout, sur tout.

Deux plumes, l’une touffue, l’autre dépouillée et un même effet : celui d’un trois tonnes qui vient de vous renverser. « Nous nous enlaçâmes et l’habileté de nos caresses suppléa aux stigmates de notre commune infirmité », écrit Pierre dans L’Ordinaire Mésaventure d’Archibald Rapoport. « Les peaux s’entendent et se tendent », chante Jean-Jacques dans « Ne lui dis pas ». Deux styles pour un unique thème, celui de la relation amoureuse, parfaitement compris et dit. Pierre aimait s’écouter écrire, assurément. Il avait la pleine conscience de son érudition. Jean-Jacques a pris un autre chemin, celui de la simplicité. Dans ses paroles, aucun mot complexe, aucune phrase alambiquée, rien qui ne vise à enseigner. Juste une image puis la secousse. Un 5 sur l’échelle de Richter. « Les mots, l’émo, l’émotion vient », écrit-il. C’est peu de le dire quand on le lit.



Le jalouserais-je d’être aussi succinct et pourtant si précis ? Oui. Il me fait penser à ce gosse que la maîtresse adorait parce qu’il avait toujours 10/10 sans avoir rien révisé ! Jean-Jacques Goldman me rappelle cette fille jolie au réveil, la toujours zen, le monsieur repartie, tous ceux pour lesquels les choses semblent faciles. Je ne dis pas que sa vie a toujours été douce, je ne sais rien de son intimité. J’affirme en revanche qu’aucun travail n’amène à écrire ainsi. Cet homme a un don.

Dans son livre d’échanges avec le philosophe Alain Etchegoyen2, il dit qu’il n’est qu’un musicien, classé au top cinquante parce qu’il peut faire danser mais que les gens ne le prennent pas pour Montaigne. Il oublie de dire que cela lui donne un avantage de taille : lui, on le comprend, premier de ses talents. « Les femmes donnent leurs appas à médiciner difficilement, mais à garçonner tant que l’on veut », paraît, à vue d’œil, plus dur à déchiffrer que : « C’est ta chance, ta force, ta dissonance/Faudra remplacer tous les “pas de chance” par de l’intelligence. » Employer un vocabulaire compréhensible n’est pas simple, c’est même l’exercice le plus ardu pour un palabreur, qu’il soit écrivain ou parolier. Car ces petites bêtes-là, avant de déboucher leur Bic, ont forcément beaucoup lu, écouté. Jean-Jacques Goldman n’a pas l’ego démesuré des phraseurs. Il n’a peut-être pas d’ego du tout. Il devrait pourtant. Il est Montaigne pour des milliers d’adolescents puisqu’il donne à méditer, à s’interroger. Il est le théoricien de ceux qui n’ont pas encore usé les bancs de la fac, sont nés dans des familles où on a préféré investir dans une télé que dans Les Confessions de Rousseau. Il est le raisonneur du pauvre et ne voyez rien de péjoratif dans ces mots. Bien au contraire. Il est la pensée à portée de tous, des non-éduqués, de ceux qui ont moins de moyens. En cela, son œuvre vaut bien celle des lettrés.

Baudelaire n’était pas non plus Montaigne. Pas plus que Laclos ou Zola. Depuis ces immenses, des langues sont mortes et d’autres sont nées. Celle de NTM, faussement rebelle, mais celles de Berger et la sienne aussi, authentiques. Celle de MC Solaar, de Grand Corps Malade et d’autres. Il n’est donc pas qu’un musicien. Il est avant tout écrivain, plus précisément poète. Poète des notes, assurément, mais d’abord et bien loin devant : prodige de l’écrit. Ses airs m’emportent, me bouleversent, je dodeline de la tête chaque fois que j’entends une de ses chansons. Mais ses mots, les réflexions qu’ils drainent, la subtilité de son propos…"
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