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Citation de Charybde2


Un été au magdalénien
– Ffffllllleee.
Un cerf passe. Il s’en va, se retourne et revient ; il s’arrête un instant au bord du chenal – le fleuve s’étend jusqu’ici en de nombreuses gouttières, bras morts ou vivants qui sillonnent la terre.
Les narines de l’élaphe frémissent. Ses poils, et même sa peau, tremblent dans le vent de midi. La lumière fait briller son pelage et redessine son délicat squelette, ses attaches fines, ses muscles : ses os sous sa chair ferme sont parfaitement arrangés, liés et déliés, articulés. Il n’y a pas d’ombre, seulement des reflets, et une auréole plus claire sur sa croupe, son éclatant cimier. Et la bête au soleil pourrait être une vénérable illusion. Ses bois immenses recouverts de velours à la fin de l’été forment une parabole pour la beauté : andouillers, trochures, épois, la coiffe du cerf triomphe.
Quelque chose doit néanmoins préoccuper la bête pour qu’elle s’expose à cette heure ; un pressentiment, la douleur, ou une odeur étrangère qui flotte dans l’air de l’après-midi qui commence. L’élaphe s’attarde au soleil comme une fleur de mars en plein été. Il descend dans le chenal. Ses pattes trempent dans l’eau, ses pinces s’enfoncent dans le limon, puis il s’immobilise à nouveau, de biais. Toujours le cerf tord l’encolure pour regarder de côté ; il est simultanément ici et déjà ailleurs, et cette posture trahit son ubiquité légendaire.
Aux aguets, il ne boit pas pour ne pas baisser la garde. Il sent poindre une menace, mais la peur ne l’empêche pas d’avoir soif, et il boit enfin. Difficile de savoir s’il hume ou s’il écoute, sa vigilance est plus vaste. C’est son être tout entier qui contemple quand son regard est fixe. Il est au cœur, au bon endroit, car il ignore et accepte ce que le sort lui réserve.
Il a la pose magnifique : une parfaite conscience de son corps, de sa place, et du décor qui le prolonge. Ses yeux ouvrent un trou noir indifférent à tout ce qui peut disparaître comme à la béance qui perce son flanc droit. De la plaie purulente, le sang ne coule plus depuis des heures – le cerf a déjà le regard vitreux du mort. Quoi qu’il en soit, l’air dégagé, il fait encore illusion.
Au loin, dans la direction opposée à sa fuite, on entend des voix étouffées qui approchent, des chuchotements qui viennent. Un groupe d’hommes et de femmes avance en plein soleil. Certains s’accroupissent pour examiner des traces sur le sol. Les autres marchent dans les herbes, la tête baissée. Leurs cheveux plus ou moins longs masquent en partie les visages, retombant parfois sur leurs yeux sans que cela les empêche de voir. Ils écoutent et respirent autant qu’ils regardent, venus profiter de l’eau fraîche qui coule ici et s’en va.
Chargés de vivres et d’outils, ils ont remonté le fleuve, marchant des jours pour dormir avec la nuit. A leur arrivée dans cette plaine humide, ils se sont réfugiés sur les hauteurs pour installer leur campement. Et du coteau, ils ont vu au loin le cours d’eau et ses bras brillants déployés dans la vallée palmaire, et plus près, le cervidé qui cavalait. Puis ils ont oublié la bête et au matin le ciel était sans nuages.
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