Amélie Nothomb

p. 103: "Diane vit à nouveau que sa mère ne mentait pas. A l'université et à l'hôpital, elle avait déjà pu observer l'effarante capacité d'oubli des gens: ils oubliaient ce qui ne les arrangeait pas, ou plutôt, ils oubliaient quand cela les arrangeait, c'est-à-dire très souvent. Là, elle sentait l'intensité de la souffrance de sa mère et la sincérité de son oubli.
- Sais-tu que l'amnésie n'est pas une excuse, maman?
- Une excuse pour quoi? dit Marie, qui ignorait jusqu'à son oubli.
La jeune femme fut tentée de tout lui raconter. Ce qui l'arrêta fut la peur d'aller trop loin. Elle ne savait pas si ce trop loin comportait le risque de tuer sa mère, mais elle savait qu'aucun acte et qu'aucune parole ne la soulageraient. Au contraire, au lieu de la délivrer, son aveu l'enfoncerait, peut-être pour toujours, dans l'enfer de son enfance qu'elle avait eu tant de difficulté à quitter.
Marie eût-elle pu se conduire autrement? Diane pensait que non. Sa mère n'avait pas assez d'intelligence, il lui était impossible de prendre du recul. A quoi cela rimerait-il d'adresser des reproches à une personne incapable de s'analyser, à plus forte raison avec tant d'années de retard?"