Anatole Lécuyer

Mel Slater a montré que certains biais racistes pouvaient être corrigés par une séance d'incarnation virtuelle. Son étude portait sur des femmes blanches parfois incarnées dans des avatars à la peau noire. Les participantes étaient immergées dans un cours de tai-chi, devant un miroir, pour reproduire les mouvements d'un professeur virtuel. Au bout de dix minutes passées dans la peau d'une autre, elles remplissaient un questionnaire conçu pour révéler certains biais racistes implicites. Résultat : les biais racistes ont significativement diminué ! Et l'effet a même duré, la diminution étant encore présente une semaine après la séance de réalité virtuelle !

La théorie de l'effet Proteus [...] stipule que vous allez progressivement adapter votre comportement pour mieux coller aux caractéristiques de votre avatar. En clair, vous allez insidieusement vous mettre à penser et agir comme votre avatar est supposé le faire. Impossible ? Pour étayer leur troublante théorie, des chercheurs de Stanford ont mené plusieurs expériences qui montrent par exemple que vous allez devenir plus dur en négociation si vous êtes représenté par un avatar de grande taille que par un petit avatar, ou encore que vous aurez tendance à vous approcher plus des autres si vous êtes doté d'un visage virtuel plus attrayant. Nous serions ainsi conditionnés par notre apparence, tels des « caméléons numériques », transformés par notre avatar au sein des communautés virtuelles. L'effet Proteus semble même persister un temps après l'immersion. Dans une de leurs études, des joueurs de jeux vidéos se mettaient à nouveau à négocier de manière plus agressive dans la réalité, après avoir quitté un univers virtuel où ils avaient été représentés par un avatar de grande taille.

[... I]l existe une [...] approche [...] pour réussir à marcher à l'infini dans un monde virtuel : la « marche redirigée ». Mise au point par Sharif Razzaque pendant sa thèse aux États-Unis, cette technique a inspiré un grand nombre de travaux scientifiques en réalité virtuelle. J'ai pu la tester à plusieurs reprises, et chaque fois je l'ai trouvée bluffante. Elle rappelle une propriété étonnante de la locomotion humaine : lorsque nous marchons en ligne droite, sans aucun repère, nous finissons généralement... par tourner en rond ! Je me souviens d'une présentation impressionnante de Marc Ernst, aujourd'hui professeur à l'université d'Ulm en Allemagne, qui a dirigé l'une des expériences les plus ambitieuses sur la question. Les participants de son étude ont été littéralement lâchés dans le désert de Sahara, ou dans la forêt de Bienwald en Allemagne, avec pour consigne de marcher en ligne droite. Dès que le Soleil ou la Lune n'ont plus été visibles, les participants se sont mis à dériver pour finir inexorablement par marcher le long d'un cercle, sans s'en rendre compte. Lorsque les participants avaient les yeux bandés, cela a été presque pire, certains se sont mis à tourner sur de tout petits cercles, avec un diamètre inférieur à 20 mètres. Ce mystère est loin d'être élucidé. Cela ne semble pas être lié à une différence de longueur entre nos deux jambes, car un même participant pouvait tourner tantôt à droite, tantôt à gauche. Il n'y a aucune explication évidente à l'heure actuelle.