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Citation de MegGomar


Il s’est interrompu et m’a regardée longtemps, longtemps.

— Tu es si jeune, et tu es belle. Il est heureux que tu ne saches pas grand-chose.

— Quelles étaient tes relations avec la camarade Jiang-Ching ? Il faut que je sache.

— Au contraire. Si tu ne sais rien, on ne te fera aucun mal. N’oublie pas les ténèbres de la nuit, n’oublie pas de marcher dans le sens de l’Histoire, d’observer comme elle a changé, de voir comment on a réveillé les morts pour les faire parler, comment jamais ils ne se sont plaints de ce qu’on a mis dans leur bouche fétide. La puissance de l’Histoire m’a ensorcelé. Admire l’Histoire.

Sa voix s’infiltrait dans tout mon être :

— Azalée-Rouge naîtra en un autre temps, en un autre lieu, j’en suis sûr, a-t-il murmuré. J’aime Azalée-Rouge. Et toi ?

» Les opéras émanent des désirs inassouvis de Jiang-Ching. C’est par ce même désir que les tragédies anciennes font frémir les âmes, et les civilisations qui suivent. C’est de ce même désir qu’a jailli la flamme de la Grande Révolution culturelle.

Il s’est interrompu, a regardé autour de lui et a repris :

— Je ne vois guère d’amoureux sous les buissons ni de masturbateurs, ce soir ; dommage. Le vent chante si joliment dans les feuilles d’érable que cela mériterait beaucoup d’auditeurs. Imagine les collines vertes et les pivoines roses de mon jardin à Pékin. Imagine-nous assis dans la vallée entre les seins de la mère nature. Ferme les yeux, respire le parfum des fleurs. Garde-le toute ta vie. Ouvre le chemin caché de ton esprit, sois en parfaite communion avec lui. Dis-moi comment le vent souffle sur les nuages.

Je me suis laissée dériver dans sa chaleur :

— Tes mains sont le vent. Dans tes mains, mon corps se fait nuage.

— Je suis ardent, et ma passion a la force de la mort.

» J’ai toujours aimé regarder la fumée s’échapper en volutes de la cheminée du crématorium de la Vue-du-Dragon. Je ne crains pas la mort. Je n’ai jamais fait confiance aux livres d’histoire chinois parce qu’ils ont été écrits par des hommes incapables de désirs. Des gens payés par les générations d’empereurs. Des eunuques dont on avait castré les désirs.

» Je veux que tu vives. Que tu vives ma vie. Tu connais mon désir secret. Garde-le, nourris-le pour moi.

Toute frissonnante, j’ai dit en sanglotant :

— C’est promis.

— Serrons-nous fort. Ne parlons pas.

Nous nous sommes étreints. Je sentais la présence de Yan – nous quittions l’obscurité.
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