Vous savez, Monsieur, que cet Ouvrage n’est proprement qu’un extrait des longues & agréables conversations que nous avons eues ensemble à … Tandis que nos amis communs s’occupaient au jeu, ou à la chasse, notre unique plaisir était de penser à la mort. Il me semble que cela convient assez au Stoïcisme dont nous faisons tous deux profession. Si quelque Critique y trouve à redire, je le renverrai a l’ingénieux Auteur de la Pluralité des Mondes. Une Dame se fait bien à la campagne un secret plaisir d’étudier l’Astronomie, pourquoi craindrions-nous de paraître aussi sérieux qu’elle. Notre sérieux après tout peut passer pour une espèce de débauche, à l’égard de ceux qui aiment les débauches d’esprit.
Que vous êtes à plaindre MADAME, & que je suis touché de votre sort. Née avec tous les agréments que l’esprit & la beauté donnent à une jeune personne, vous deviez vous promettre l’établissement le plus flatteur. La Fortune n’a point suivi les vues de la Nature. Je ne sais si c’est par aveuglement ou par jalousie. Vos charmes sont devenus la proie d’un Mari farouche & bizarre. Livrée à ses caprices, Vous vous trouvez exilée au fond d’une Province grossière, où l’esprit passe pour un vrai monstre. Que votre délicatesse doit être choquée des manières impolies de ces Gentilshommes, qui assiègent tout le jour votre maison. Avec moins d’esprit, vous seriez plut heureuse.
C’est ce qui a fait dire à Madame des Houlières, dans un de ces moments où l’esprit est moins touché que le coeur :
Homme vante moins ta Raison.
Vois l’inutilité de ce présent céleste
Pour qui tu dois, dit-on, mépriser tout le reste.
Aussi faible que toi, dans ta jeune saison,
Elle est chancelante, imbécile.
Dans l’âge où tout t’appelle à des plaisirs divers.
Vile esclave des Sens, elle t’est inutile.
Quand le sort t’a laissé compter cinquante hivers,
Elle n est qu’en chagrins fertile ;
Et quand tu vieillis, tu la perds.
Les esprits qui sont, pour ainsi dire ouverts à tout le monde, manquent ordinairement de finesse : une Coquette sans art, & qui reçoit avec le même empressement les assiduités de tous ceux qui l’environnent, a bien moins d’attraits qu’une femme habile & qui sait choisir. Les personnes qui ont véritablement le goût délicat, lui ressemblent, on ne les voit point s’abandonner à toutes sortes de plaisirs ; ceux qui ont joué au coeur un personnage agréable, peuvent seulement les flatter.
On ne s’ennuie dans le monde, que parce qu’on s’abandonne trop aux emportements d’une imagination déréglée. Trop voisins de notre sort & trop éloignés de celui des autres, nous ne pouvons en juger sainement. De-là naissent mille idées fausses & ridicules, que l’orgueil ne nous offre cependant que sous des dehors flatteurs. Guidé par les saillies d’une impatience vive, l’esprit n’ose alors demeurer dans une assiette tranquille.