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Citation de SZRAMOWO


À l’instar de Maigret, ton grand ancêtre, tu ne manifestes pas un attachement forcené aux institutions et à leurs règles, tu es beaucoup moins intéressé à conclure tes histoires en présentant un coupable à la Justice qu’à remettre un peu de justice dans le monde. Et pour cela, il peut arriver que tu maquilles des preuves ou que tu omettes de transmettre des informations à qui de droit. Car tu sais que l’État que tu sers est souvent fort avec les faibles et faible avec les forts. Et toi, tu choisis d’instinct de faire l’inverse. Tu préfères l’amitié d’un vagabond à celle de ton questeur, et si tu as du mal à tendre la main à un puissant avocat mafieux, tu prends volontiers celle d’un enfant migrant à peine débarqué d’une barcasse surpeuplée sur ton port de Vigàta.
Mais je ne voudrais pas fabriquer un Montalbano à ma convenance, te gauchiser outre mesure (même si, quand tu te laisses aller à ironiser sur la politique du moment, tu te fais traiter de communiste par Fazio). Peut-être es-tu en fait profondément conservateur. Dans le sens où, ce que tu voudrais conserver, c’est un monde d’oliviers sarrasins que n’ont pas encore attaqués les tronçonneuses des promoteurs immobiliers, un monde de plages propres et dépeuplées et de cannoli parfumés, consommés en silence avec ton irascible ami, le Dr Pasquano, tandis que vous tournez le dos un moment à l’horreur d’une époque étalée sur la table de dissection.
Cette laideur et cette méchanceté, à la fois éternelles et tellement contemporaines, tu les fuis par moments à la nage, quelle que soit la température, à en perdre le souffle. Tu lui résistes avec l’aide de ton petit monde à toi, celui du pêcheur du matin qui t’offre un poulpe au regard malfaisant, le monde de l’ineffable Catarella, Fernandel informaticien qui te regarde comme un chien amoureux de son maître, d’Ingrid la Suédoise, dont l’absence de toute idée de péché sexuel ne peut que fasciner le post-catholique que tu es, d’Adelina, dont le dialecte quasi catarellien sait exprimer aussi bien son admiration pour ton anatomie intime que sa haine sans limites pour Livia, ton éternelle fiancée génoise. Ah, Livia ! Son principal mérite, outre sa plastique impeccable malgré le passage des ans, semble être de t’offrir d’indispensables disputes vespérales. Que d’envies elle a pourtant suscitées chez tant de lectrices, dont Adelina pourrait bien être la porte-parole ! Ton créateur m’a raconté qu’un jour une dame l’a reconnu dans la rue et l’a apostrophé en lui disant que, décidément, cette Livia, même pas sicilienne, il fallait que ça cesse, sa relation avec Montalbano. Et ce n’est pas le moindre mérite de tes histoires que de nous ramener à une robuste division sexuée des rôles, dans la mesure où nous autres, lecteurs mâles, ne pouvons avoir qu’une fidèle tendresse pour la Génoise, dont l’éloignement est si pratique à la fois pour maintenir l’ardeur de la flamme et autoriser toutes les tentations (et y céder parfois).
CaroSalvo, cela me fait penser que l’attachement profond que j’ai pour toi tient peut-être surtout à tes faiblesses, dont l’énumération ne saurait être exhaustive : ton art de ne pas dire la vérité sans mentir tout à fait, ton goût pour les coups de fil en déguisant ta voix, ton côté légèrement pédant dès qu’il s’agit de tableaux italiens des années 20 et 30, ta peur de vieillir si envahissante (et un peu lassante, il faut l’avouer, c’est quelqu’un qui a passé cette soixantaine si redoutée de toi qui te le dit), ton fanatisme pour les rougets de roche et la pasta ‘ncasciataqui t’entraîne à des conduites retorses moralement condamnables : à quelles profondeurs d’hypocrisie es-tu capable de sombrer pour échapper aux fâcheux et surtout aux fâcheuses, et te retrouver attablé in santa pacechez Enzo, si possible avec une femme qui ne parle pas en mangeant ! Sans compter ton goût parfois immodéré pour le whisky ou ce second Montalbano en toi, dont le pénible moralisme ne semble là que pour se faire envoyer promener par le premier…
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