En 1966 Boris Pahor visite le camp du Struthof où il fut interné 40 ans auparavant. Le fait de s'y retrouver en compagnie de touristes l'amène à s'interroger sur leur présence en ces lieux. S'il est content que le camp soit devenu un lieu de mémoire, il est en même temps "plutôt satisfait de constater que le monde des camps est incommunicable". Cette visite est l'occasion de se remémorer les conditions de détention et les camarades morts ici. A son arrivée au Struthof Boris Pahor a été affecté à un poste d'infirmier. Il est conscient qu'il doit sa survie à cette fonction et le complexe de culpabilité du survivant le tourmente : il a mangé le pain des malades morts à l'infirmerie.
L'auteur décrit dans des termes parfois crus le froid, la faim, la maladie, la déchéance physique. Il analyse les conséquences de la peur permanente qui neutralise les sentiments pour qu'ils n'atteignent pas l'instinct de conservation. Cependant il dit aussi la solidarité et les relations de camaraderie ou même d'amitié qu'il a tissés avec certains détenus. Ce récit est un hommage à ces hommes et notamment à ceux qui sont morts, à qui il s'agit de restituer leur humanité :
"Nous aurions dû prendre carrément la parole non seulement pour les camarades réduits en cendres, pour leur honneur mais surtout pour rappeler à la conscience des hommes la valeur de leur sacrifice qui, plus encore que le sacrifice au combat, touche au patrimoine de l'humanité".
Enfin Boris Pahor s'interroge sur le bien et le mal et sur la responsabilité du peuple allemand. Il s'oppose à son ami André Ragot, détenu lui aussi au Struthof qui, dans son livre NN Nuit et brouillard paru en 1945, se demande "s'il ne conviendrait pas d'anéantir le peuple qui a donné Nietzsche, Hitler et Himmler et les millions d'exécutants de leurs ordres et de leurs idées". Sans négliger la responsabilité des individus Boris Pahor pense qu'il "faut auparavant demander des comptes à la société qui les a éduqués".
C'est un livre que j'ai trouvé puissant. Pas toujours facile à lire, par son sujet -de nombreux passages sont poignants- mais aussi par la prose exigeante qui demande des efforts de concentration. On passe ainsi, par exemple, sans avertissement, de Boris Pahor visitant le camp du Struthof en 1966 à Boris Pahor prisonnier dans ce même camp voire, dans des scènes hallucinatoires, à Boris Pahor se rêvant dans le camp, entouré des ombres de ses camarades morts. Ce texte complexe restitue bien, il me semble, la complexité des sentiments et de la pensée de l'auteur.
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