Anja Linder

Et j'avais désormais un nouveau confident avec qui je me dévoilais entièrement : "Rollerman", l'aide-soignant de nuit. Il était de garde trois ou quatre nuits par semaine et se déplaçait en rollers. Il était drôle, décalé et cultivé. Nous passions des heures à discuter, sans séduction : il était bien plus âgé que moi, j'avais besoin d'une écoute paternelle et amicale. Les nuits où il était de garde n'étaient pas anxiogènes : il rendait cet enfer supportable, arrivait à me faire rire de tout. Son humanité a été un cadeau inestimable. La nuit, lorsque je sonnais pour avoir un bassin et faire pipi, il déboulait sur ses rollers, ouvrait la porte de façon triomphante en brandissant le bassin comme s'il s'agissait d'Excalibur. Il avait l'œil rieur et me demandait : "Auriez-vous l'obligeance, belle harpiste, de me dévoiler vos fesses royales ?"

La lecture était mon évasion favorite. Je vivais mille vies grâce à elle. Je préférais les romans dont les personnages féminins étaient intrépides, curieux de la vie, que ce soit Fantômette, Laura de "La petite maison dans la prairie" ou Emma Bovary, et Renée de "La curée" de Zola ! Les personnages résignés m'agaçaient ! La passivité de Jeanne dans "Une vie" de Maupassant était incompréhensible pour moi.

J'ai travaillé beaucoup pour remuscler un dos qui avait eu sept côtes cassées de chaque côté, trois opérations et une tige de 42 centimètres. En janvier 2002, je portais du 34/36 dans mes hauts. Six mois plus tard, avec le développement de la masse musculaire, je faisais du 38/40.

Depuis mon accident, je trouvais que j'avais perdu ma beauté avec ma verticalité, car je ne lisais plus de désir et d'admiration dans le regard que posaient sur moi les inconnus et les passantes. Je me trouvais encore féminine, car je faisais tout pour le rester, mais mon corps était abîmé et mon pouvoir de séduction avait disparu.
Je savais encore être attachante et drôle, mais pas sensuelle et désirable.

Difficile d'avoir les pieds sur terre quand on ne les sent plus. Autant se grandir pour avoir la tête dans les nuages. C'est ce qu'a fait Anja Linder. (...)
Je m'étais dit qu'écrire une préface, c'était rendre servie et prêter mon nom; mais après avoir lu "Les escarpins rouges", je ne sais plus très bien laquelle des deux auteures a rendu service à l'autre, tant j'en suis sortie bouleversée. (...)
Anja Linder dit tout haut ce qu'on vit tout bas, quand chaque fois que l'on vous touche, c'est pour vous faire mail, vous piquer, vous coudre, vous drainer, mettre des choses, en enlever d'autres. Elle ne cache rien de la solitude et de la vulnérabilité extrêmes que l'on peut ressentir, de ce Transsibérien de la douleur humaine qui emmène dans un pays lointain dont on ne revient pas. Certains se laisseraient emporter par le désespoir de cet exil, mais pas elle, pas ceux qui ont su se transcender par la beauté.
Car le livre d'Anja Linder ne parle de la douleur que pour parler de la joie. Il ne parle de la pesanteur d'un corps que pour parler de la légèreté. (...)
Nous ne sommes pas éternelles, mais ce en quoi nous croyons l'est -et ce pour quoi nous continuons de nous dresser -, la beauté.
Le livre d'Anja Linder nous donne le choix, mais nous amène avec grâce à devenir des survivants, à retrouver le goût du bonheur.
(extraits de la préface de Diane Ducret)

Les relations humaines avec mes proches, ma famille, Laurent et mes amis m'aidaient à me sentir encore utile. Je voyais qu'ils étaient heureux de me voir, qu'ils m'aimaient. Je faisais tout mon possible pour rester positive malgré ma profonde tristesse et mes angoisses de mort. Je riais encore, j'arrivai encore à faire rire. Je commençais à comprendre que ce qui faisait ma personnalité ne se trouvait pas dans ma verticalité.