AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Cielvariable


M’accrocher à mes rêves : un jeu dans lequel je luttais pour suivre à la trace ces images si aisément perdues. J’essayais de me maintenir en sommeil, d’obliger mon cœur à battre trop lentement pour sentir quoi que ce soit, de refuser que mes poumons s’éveillent. À une ou deux occasions, j’ai tenu si longtemps que maman, prise de panique, a enclenché le ressusciteur.

Cette fois, c’était un paysage marin d’un bleu électrique que je tentais de capturer. Et ce ne fut pas une main qui m’en a tirée, mais la iv>Ӿsensation d’une bouche plaquée contre la mienne. Je me suis redressée d’un coup, cognant ma tête contre celle qui m’avait sauvée. Je ne voyais rien. Tout était sombre et douloureux, comme si je venais tout juste d’ouvrir les yeux en pleine lumière après des jours passés dans le noir. Une voix inconnue a crié des mots tout aussi inconnus :

— Merde, tu es bien en vie !

Je me sentais complètement perdue. Je me raccrochais comme une enfant à ce que je connaissais.

— Où est maman ?

Cette voix n’était pas la mienne ; on aurait dit un croassement. Je me suis efforcée d’évaluer ma condition. Mes muscles semblaient soumis à mille tortures, mes poumons emplis de liquide. J’ai toussé pour faire entrer l’air de force dans mes bronches engourdies. J’ai essayé de me mettre debout. Une douleur aussi tranchante que des lames de rasoir m’a traversé les bras et les jambes là où j’avais tenté de me soulever, pénétrant jusqu’à la moelle de mes os. J’ai glissé de nouveau sur mon coussin.

— Ouh là !

Des mains tièdes m’ont saisie, et mes muscles ont hurlé, crispés.

— Ne me touchez pas ! ai-je haleté.

Une telle souffrance dépassait mon entendement.

Les mains m’ont lâchée, mais la douleur n’a pas diminué pour autant.

— Tu m’as fait peur.

La voix paraissait surexcitée.

— Tu ne respirais plus… j’ai cru que le système avait planté et que tu étais finie.

Je ne comprenais pas la moitié de ce qu’on me racontait.

— Combien de temps ? ai-je murmuré.

— Tu n’as semblé morte qu’une minute, a répondu la voix comme pour me rassurer.

Je tenais vraiment à savoir combien de temps j’étais restée en stase, mais j’ai abandonné l’idée. Cela n’avait aucune importance. C’est ce que je me disais à chaque réveil. « Aucune importance. » À la place, j’ai demandé :

— Qui êtes-vous ?

— Je m’appelle Brendan. J’habite la suite cinq. Est-ce que tu sais où on est ?

J’ai froncé les sourcils. La suite cinq abritait un couple âgé, avec sa collection de poissons tropicaux. Du moins étaient-ce ses occupants lors de ma dernière séance… Mais quand avait-elle commencé, et combien de temps avait-elle duré ?

— Dans la Résidence Unicorn, bien sûr. Que faites-vous là ?que-vous l Vous venez d’emménager ?

Long silence.

— Non, j’ai toujours vécu ici.

Il avait l’air franchement perplexe.

J’ai cligné des paupières et dirigé mes yeux bouffis vers l’endroit où je pensais le trouver. Brendan n’était qu’une ombre, la silhouette floue d’un homme. Un homme jeune, à en juger par sa voix. J’étais vraiment perdue.

— Pourquoi m’avez-vous réveillée ?

Il a sursauté, comme surpris par la question.

— Tu voulais rester en stase ?

— Non, je veux dire, pourquoi est-ce vous qui m’avez réveillée ? Où est maman ?

Autre long silence.

— Euh…

Il a pris une profonde inspiration.

— Je ne sais pas où est ta mère. Est-ce que… est-ce que tu sais qui tu es ?

— Évidemment ! ai-je rétorqué d’une voix pourtant rauque et tremblante.

J’ai toussé de plus belle, luttant contre la fatigue typique après une période de ce sommeil artificiel que l’on nomme la stase.

— Eh bien, pas moi. Moi c’est Brendan, et toi ?

— Rosalinda Samantha Fitzroy, ai-je énoncé avec précision.

J’étais agacée. Pour qui se prenait ce garçon ? Jamais auparavant je n’avais eu à décliner mon identité.

Il a fait un pas en arrière avant de disparaître. Alarmée, j’ai essayé de m’asseoir de nouveau. Mes bras souffraient le martyre, et mon dos semblait trop faible pour me porter. Toute l’énergie qui s’était emparée de moi sous le coup de la surprise avait à présent disparu. Je me suis appuyée contre les bords de mon tube de stase, à la recherche de mon homme mystère.

Il était par terre, moins mystérieux maintenant que je me tenais droite. Il avait trébuché. Deux taches blanches se dessinaient dans le cercle noir de sa tête – ses yeux, qui me dévisageaient, grand ouverts.
Commenter  J’apprécie          10





Ont apprécié cette citation (1)voir plus




{* *}