Anne-Françoise Schmid

Très intéressant à lire. On appréciera vraiment ce renouvellement de l'épistémologie qui prend en compte les sciences de l'ingénieur : celles-ci, longtemps oubliées par une épistémologie et une philosophie des sciences portées sur des exemples particuliers (la théorie de Newton par Kant, la théorie des ensembles par Badiou, la théorie physique par Duhem, etc), n'ont rien à voir avec une simple "application". L'ingénierie conditionne la possibilité de la science moderne de par la complexité des expériences que demandent la science et un scientifique sera bien obligé d'abandonner la compréhension du fonctionnement de ses instruments et les réduire à leur fonction. Que fait l'ingénieur ? Ni purement de la science, descriptive, ni de la simple technique applicative. L'ingénierie, s'occupant de problèmes finis, n'est d'ailleurs pas la technologie, à l'infini développement (l'ingénieur conjugue plutôt sa science propre et la technologie afin de répondre à des problèmes particuliers). Point important et intéressant : la philosophie serait plus proche de la technologie que de la science : philosophie et technologie, sur deux plans différents, offrent à la science des ressources et se présentent dans tout leur libre développement. L'épistémologie renouvelée dont il s'agit ne revient pas à nier les oppositions conceptuelles classiques et n'est pas une dialectique. Dans le conflit entre l'expérience et le formel elle met en revanche le problème de côté : le modèle remplace la théorie comme notion épistémologique centrale, d'où les liens entre technologie et épistémologie, cette notion de théorie n'ayant sa pleine consistance que dans des régions épistémologiques particulières. La science fonctionne par modèles et ceux-ci ne sont plus de simples aides à la théorisation : ils conditionnent la science qui les décrit. Le livre parle aussi d'éthique et renouvelle les questions éthiques classiques sur la technique. L'éthique comme extension de l'épistémologie.

Un manuel davantage proche de l'essai que du manuel scolaire. L'objet est constitué par les sciences futures : car il ne s'agit pas de se borner à des exemples déjà tout constitués ou à des disciplines fixées par notre époque, il s'agit d'une épistémologie beaucoup plus "libre", une épistémologie générique (plutôt qu'exemplaire, "idéale"). Il y a une forte originalité dans ce livre, dont l'ordre de lecture s'effectue à la guise du lecteur. C'est parfois désarçonnant.