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Citation de annelaurebuffet


Extrait de l'introduction

Brigitte a 52 ans. Elle en fait cinq, dix, ou cent de plus. Elle semble sans âge, sans force, sans sourire. Elle est voûtée, le corps tordu, enfermée dans un silence douloureux et asphyxiant.
Brigitte a fui il y a quelques semaines. Son fils Jérôme l'a accueillie chez lui. Charlotte, la deuxième fille de Brigitte, a pris rendez-vous pour sa mère et l'accompagne à la première consultation thérapeutique. Je donne la parole à Brigitte. Elle ouvre la bouche, la referme, étranglée par un flot de larmes qui vont mourir sur sa jupe sans faire de bruit. Sa fille prend alors la parole, une parole urgente, saccadée. Un appel au secours, un SOS :

Pauline, ma soeur aînée, est comme mon père. Elle retourne tout contre nous. Elle a toujours raison. Elle sait et elle impose. Elle critique. Elle n'aime personne, sauf elle et l'argent de son mari. Quant à mon père, il n'y avait que Pauline qui comptait pour lui. Elle était la plus belle, la plus gentille, la plus intelligente. Si quelque chose n'allait pas, c'était de notre faute. Surtout de celle de maman. Maman n'a jamais rien dit. Elle n'a jamais osé. Quand j'étais petite, elle me disait de me taire, d'obéir à mon père, de ne pas faire de vagues pour ne pas le mettre en colère ou énerver Pauline. Le jour de mes 18 ans, elle m'a demandé pardon. Elle m'a dit qu'elle s'en voulait. Qu'elle n'avait pas rempli son rôle de mère, qu'elle n'avait pas su nous protéger, Jérôme, Pauline et moi. Pour Pauline, c'était peut-être trop tard, mais nous devions vivre, Jérôme et moi. C'était il y a six mois. Depuis, j'ai beaucoup vu Jérôme. Nous avons beaucoup parlé. De nous, de notre enfance. De maman. C'est Jérôme qui a proposé de prendre notre mère chez lui, le temps du divorce. Pour la sortir de son enfer.

Charlotte parle, Brigitte ne dit rien. Elle garde la tête baissée, les épaules basses. Ses doigts se crispent, elles serrent les mains pour ne pas trembler. Ses ongles sont rongés. Elle est à peine coiffée, pas maquillée. Plus Charlotte raconte, plus Brigitte se recroqueville. Elle pourrait disparaître dans la chaise, elle se laisserait absorber. Complètement.
«Que ressentez-vous en entendant votre fille ?
- De la honte, madame.»
Le rendez-vous prend fin et il est convenu que Brigitte revienne, seule. Pendant un an Brigitte va venir chaque semaine. Et se raconter.
C'est en recomposant sa vie, en en faisant un récit, que Brigitte parvient peu à peu à nommer l'innommable et à faire revenir des souvenirs enfouis. Une vie soumise, sous emprise et conditionnée pour l'être, interdisant toute construction personnelle, tout projet individuel, bannissant lentement l'idée du bien-être et du bonheur. Une vie détruite, systématiquement. Une vie dépossédée d'une existence que d'autres se sont appropriée.
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