Dans son premier "best-seller", Chez les heureux du monde, publié en 1905, Edith Wharton a voulu montrer comment un type de société fondée sur la richesse et l'oisiveté pouvait détruire l'un de ses propres membres devenu trop faible pour le groupe. Sur fond de darwinisme, le récit de la chute de Lily Bart, élevée pour devenir un élément ornemental de la société, la "beauté américaine", cette rose dont Rockfeller avait tiré un discours édifiant, mêle déterminisme et idéalisme. Si elle doit en grande partie sa chute à son incapacité à réagir au moment propice, Lily Bart meurt aussi d'avoir cherché à rejeter les valeurs matérialistes d'une Amérique bourgeoise dont l'auteur dénonce l'hypocrisie morale et les mœurs dissolues. Utilisant le motif réaliste de la représentation, Edith Wharton s'accorde, avec Shakespeare, à déclarer que "le monde est une scène" sur laquelle les "heureux du monde" évoluent avec des grâces de comédiens, ni plus ni moins sincères que ces derniers, jouant comme eux sur les apparences dont la romancière ne cesse de démontrer la nature trompeuse.
Chapitre 2 "Le ballet des apparences"
La guerre produit sur Edith Wharton un choc tout aussi dévastateur et d’autant plus irréversible que les amis de toujours meurent les uns après les autres, laissant plus évidente encore la béance d’un monde disparu. Si les ruines sont, dans le cas de la terre américaine, essentiellement métaphoriques, elles servent néanmoins de point de départ à Edith Wharton pour l’écriture de ses derniers romans.
Elle y évoque sa « faim », ses « privations », son « appétit dévorant » pour tout ce qui se lit et la frénésie avec laquelle elle engloutit indifféremment sermons et poèmes, romans et ouvrages métaphysiques, en anglais, en français ou en allemand le tout exhumé de la bibliothèque d’un père qui se contentait de les accumuler par devoir de caste.
Rares sont les créateurs épanouis dans les œuvres de Wharton, comme si l’artiste se devait d’être, sinon torturé, du moins caché et subir les brimades que lui impose bien volontiers un univers fondamentalement hostile à la différence.
La solitude et le silence font partie intégrante des fictions de Wharton comme ils ont peuplé une jeunesse seulement sauvée du néant affectif par une nourrice choyée et une passion dévorante pour les livres.