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Citation de Bradomin


La République triomphante, c’était selon l’allégorie d’un affichiste en vue chez ces Messieurs de la Chambre, une femme blonde vêtue de gaze, portant dans ses bras écartés des palmes et des couronnes de laurier en or. Elle était dressée sur un socle au pied duquel se trouvaient des représentants féminins de l’Empire, venus des lointaines colonies de la Cochinchine et du Tonkin, l’une assise, l’autre penchée, munie d’un éventail au bout d’un manche qu’elle tenait à l’épaule. En contre-plongée de cette apothéose, la Seine et ses ponts, puis au loin la tour Eiffel et, esquissés, les fameux pavillons qui s’échelonnaient jusqu’aux confins. Ce qui se détachait de cette perspective, c’était la Porte monumentale de l’Exposition, à la structure élancée et surchargée de fresques et de sculptures comme si on avait voulu prendre pour référence un palais des Mille et Une Nuits. Pour ces travaux d’Egypte, on avait d’ailleurs fait venir plus de quatre mille ouvriers, dont certains Russes originaires d’Irkoutsk, près du lac Baïkal, mais aussi autant de manœuvres de cet Extrême-Orient reculé qui faisait rêver les opiomanes. C’étaient des Laotiens et des Annamites que les Parisiens voyaient déambuler les jours d’intempérie comme autant de “chinois” dans les rues de la capitale, donnant ainsi un avant-goût exotique du spectacle promis. On avait dit beaucoup de bien de la Porte de la Manufacture de Sèvres, un monument de céramique émaillée, mais aussi du Pavillon du Creusot et, au-delà de l’avenue de Suffren, on racontait que se bâtissaient les non moins curieux Pavillons de la Chasse, de la Pêche et des Forêts, offrant ainsi au regard l’étalage le plus divers de ces techniques millénaires, ce qui n’aurait pas déplu au regretté Ferdinand, amateur de nature, de botanique et de cette science nouvelle de la vie qu’on appelle, je crois, l’écologie. Mais le plus extraordinaire, - on était dans une telle surenchère que rien, d’ailleurs, ne pouvait plus étonner -, c’était une grande roue qu'on allait placer à l’angle de la Motte-Picquet. Enfin, comment les masses ne seraient-elles pas éblouies à la vue de l’allure que prendraient le Palais de la Fée Electricité et sa colossale fontaine lumineuse, qui répandrait des flots multicolores sur les faces médusées, d’une manière plus époustouflante que ses devancières, ignorantes de cet artifice révolutionnaire ou, encore, comme dans une machine à remonter le temps, le “Vieux Paris” qui se proposait de reconstituer sur les bords de la Seine, les quartiers populaires de la capitale au Moyen Age, avec leurs échoppes, leurs tavernes, le dédale de leurs coupe-gorges ? Est-ce que 1900, se dit la Duchesse, ne s’ouvrira pas, au bout du compte, comme un rideau de théâtre sur un décor tragique ? Est-ce que ce ne sera pas une nouvelle galerie des glaces déformantes, un énième cabinet des curiosités ? Voyagera-t-on vraiment dans une illusion féérique tel Gulliver dans un univers rapetissé, où tout serait à portée de la main, ou n’assistera-t-on pas, plutôt, à un dangereux simulacre de puissance ?
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