On dit que le château de Tréhogonteuc fut bâti en une seule nuit par des êtres venus des profondeurs de la forêt. Ce n’étaient pas de ces créatures qui peuplent sources ou feuillages, au front bombé sous la résille, joncs graciles des bords de rivière. Ennemies du soleil, les korriganes se matérialisaient dans les émanations des marais lorsqu’une clarté parvient à fendre la ténèbre qui pèse sur les fourrés, de ce côté-là du bois. Elles jaillissaient alors avec des cris, vacillaient un instant au-dessus des tourbières, puis franchissaient à la vitesse de l’éclair les landes, les vallons, les taillis et les hautes futaies de Bréchéliant, pour planter leurs griffes dans les tempes des endormis, et leur ravir le peu d’âme dont ils se souvenaient. Après s’en être fait des colliers, après avoir tourné sur elles-mêmes comme des louves en ouvrant grandes leurs bouches folles, elles repartaient avant les lueurs du jour, vers les bas-fonds où elles enfouissaient leur butin à jamais.
- Comme il fait froid, dit la dame, comme il fait froid toujours !
- Voulez-vous qu’on ajoute à votre chambre un brasero ? Bientôt finit l’hiver...
- Non, rien ne saurait mieux réchauffer mon âme que vous entendre. La fleur de givre à ma fenêtre ne m’est alors plus décembre, mais nez espiègle du printemps. Chantez, Ariane, chantez encore pour que mon cœur dégèle, pour que le sang à nouveau en moi coule ! Chantez ce poème...
La suivante prépara sa vielle en courbant le genou. Elle tendit les cordes sous l’archet.
- « Tant ai le cœur plein de joie, que tout pour moi change de nature. Fleur blanche, vermeille et claire, me semble la froidure... Tant au cœur d’amour, de joie et de douceur, que l’hiver me semble une fleur et la neige verdure ! »
Les notes s’évaporèrent après avoir tenu un moment dans l’air.
- Oui, parlez-moi de lui, de ce troubadour, de la légende..., soupira la dame.
- Celle du cœur mangé ?
Elle tressaillit :
- Oh, non, par pitié ! Tant de finesse, côtoyer tant de cruauté !
- C’est jalousie, Madame ! Jalousie qui retourne en nous le loup prêt à tout dévorer... Nul n’en est à l’abri et les médisants sont légion.
Aboiements furieux au point du jour : / j’ai fait pendre un esclave.
J’avais surpris / les reflets d’un embrasement
sur la cheville nue / de Chântra.
Il n’a rien dit, / signant ainsi son crime.
Chântra a jeté, entre elle et moi,
le long pan de son voile ;
avec la fixité d’une statue,
elle a raidi son corps, l’a tendu
comme un arc.
Je me suis précipité, face contre terre,
j’ai embrassé ses genoux,
le regard perdu, ma langue avide sur ses
pieds.
Elle n’a rien dit.
J’ai fermé la porte de sa chambre, / donné la clef
à la vieille édentée / qui en garde le seuil
couchée de tout son corps.
Je suis parti sept jours dans la montagne.
Veillant dans un abri de chasseur,
je voyais l’aurore / enflammer le vallon,
le soleil se pendre dans les arbres,
descendre l’essaim des ombres,
les étoiles fuser.
Des chiens hurlaient au point du jour :
j’avais fait pendre un esclave / et Chântra...
J’ai fumé trois jours encore / et trois nuits dans ma tanière.
Je ne voyais plus rien, / la noire Kâlî s’enroulait dans les flammes,
excitant les grelots de ses chevilles.
Au petit matin elle se dissipait / dans le brouillard vert
d’un lointain Udaipur.
J’ai fumé encore / et j’ai cru deviner, dans la vallée,
la luxuriance d’une battue :
brocarts et satins, / pashmînâ d’Amritsar,
tarpans de soie / sur l’herbe éclatante
et la bave des chiens.
J’ai senti la fourrure sous mes doigts,
l’odeur aigre du fauve, / son sang coagulé.
Je me suis déguisé, me suis coulé
en feulant dans les fourrés.
La Noire a crevé mon sommeil
de son masque hideux et sanglant.
Toute la nuit j’ai senti / la mort labourer mes veines.
La gueule en feu, habité d’un tonnerre / à faire rugir les montagnes,
je me suis désaltéré / à une flaque de boue
dans les relents de vieux cuir d’un / troupeau d’éléphants.
Haletant, je me suis affaissé, / j’ai laissé passer dans mes yeux
un vol de babouins qui ne reviennent / jamais.
Repu de nuit, la sueur glaçait mon front.
Maintenant,
une femme est à mes côtés,
pieds maquillés de henné.
Elle m’enveloppe de sa voix berçante,
me cajole
de ses mélodies.
Elle a défait ses cheveux, me dit que,
si je veux, elle est prête :
que le bûcher soit allumé.
Mais voilà qu’elle hurle que je suis fou;
dans l’orage de mes rugissements,
je ne l’écoute pas.
Pourquoi vouloir retenir mon âme ?
La Noire seule le sait, / mais qu’y puis-je ?
Je ne m’habite plus,
cette maison n’est plus la mienne.
("Le tigre" p.68).
Je feuilletais l'un de ces livres quand, entre les lignes, ces voix...
(p.16)
Comme le héros du livre, je rêvais de lointains. Je connaissais ce pays.
(p.46)
De quoi la famille Dursley a-t'elle le plus peur?