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Citation de Bradomin


Cette fois, c’était elle qui était mordue, faisaient les observateurs, et cela excitait plus encore leur curiosité car, à l’allant de sa personne, à cet éclat qui s’en dégageait toujours, ces amours avaient ajouté un je ne sais quoi de mélancolique auquel la maturité apportait ses atouts. Personne, alors, ne regretterait les soirées où elle harponnait ses galants de la manière qui avait fait écrire dans ses Mémoires à l’un de ses admirateurs : «Ses amants, Mme de C. les choisit le plus souvent parmi les bohèmes de la Butte Montmartre, les assidus du Chat Noir ou de L’Âne-Rouge, les farceurs du cirque Medrano, les débauchés du Bal des Quat’z’Arts, les adorateurs de la Goulue, ceux que l’on voit jaillir dernièrement comme des coquelicots dans un salon à la mode de la Nouvelle Athènes, comme chez cette Mme de R., par exemple. Ancienne lorette ambitieuse, notre « éberluée d’alcôve », ainsi dénommée par un chroniqueur opiomane et nyctophile, est devenue, une fois les boiseries de son home refaites avec un luxe tapageur et juste ce qu’il faut de japonaiserie, la poétesse « pélléastre et saphique de l’avenue Frochot ». Mme de R. taquine la muse. Au fond, qui s’en plaindrait puisque personne ne l’écoute et que l’on rit à ses dépens. À défaut de gâter ses hôtes de nourritures authentiquement spirituelles, ce sont de vrais festins des dieux qu’elle offre en échange d’un semblant d’attention. Tout le monde sait que tout le monde y va, que le lieu est inévitable et que la représentation se trouve dans la salle. Le samedi soir au son du piano, Mme de R. décline ses litanies pendant que, derrière les rideaux, s’ourdissent les drames les plus sombres, - dénonciations politiques, avalanches de carrières dégringolant à la lueur d’un délit d’initiés - tandis que les oreilles se tendent vers la trahison d’un secret d’alcôve ou le récit de l’une ou l’autre coucherie. Dans le théâtre élisabéthain qui se joue en coulisses, pendant que la morne voix s’enfle soudain comme la promesse d’un orage, les faces-à-main se posent sur des visages goguenards, dissimulant joutes et fusées, persiflages et railleries les plus garces. On entend alors s’élever la parole suave de celle qui excelle dans l’art du spectacle : « Où donc se trouvent les water closets, cher Johnson ? Ces ‘roses moribondes dans le soir effondré’, ces ‘amours mûrissant sous l’aube parfumée’, j’en ai la vessie toute émotionnée. » Qui doute alors un seul instant que l’intérêt pour le sieur tellement flatté qui repart dans ce beau sillage ne s’effondrera pas aussi vite que le parfum des roses poétiques de la maîtresse de maison ? Mais qu’importe, parce que M. de C. possède le talent d’offrir au monde, sans jamais lasser, une plastique qui le dispute seulement au piquant d’un esprit que l’on s’arrache en tout lieu. »
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