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Citation de Henri-l-oiseleur


[Destin des empires : le califat et l'empire romain transformé, après 700 et la conquête arabe]

... L'empire romain survécut au califat, qui l'avait ostensiblement remplacé.

Une des raisons de cela était que l'identité et le pouvoir n'étaient pas articulés de la même façon dans le califat et dans la Romania. Cette dernière était, et se présentait comme "l'état des Romains". Vers 700, presque tous ses citoyens parlaient grec, appartenaient à la même église chalcédonienne, et étaient, ethniquement, des Romains. Ils avaient un état unique, dont le but était leur protection et leur bien-être, à la fois matériel et spirituel. Le gouvernement préférait employer la persuasion et l'effort de consensus avec ses sujets, plutôt que la force, et favorisait la coopération, non la soumission. Les Romains disposaient d'un commandement militaire unique qui rassemblait toutes les ressources des provinces pour protéger la totalité du territoire romain. Leur armée était soutenue par un système unifié d'administration et de législation. Il n'y eut aucune révolte paysanne ni aucune tentative de créer des états sécessionnistes à cette époque. Les soulèvements provinciaux avaient pour but de protéger la capitale, Constantinople, et renouveler son gouvernement : c'étaient des coups d'état. La Romania était moins un empire qu'un état-nation.

Par contraste, le califat faisait face à une problème qui lui fut fatal : il n'élabora jamais une idéologie consensuelle de gouvernement. Un petit nombre de guerriers arabes, temporairement unifiés par un nouveau message religieux, profitèrent de la ruine provoquée par la guerre entre Rome et la Perse pour se tailler un empire à eux. Les populations conquises furent contraintes de payer des impôts pour entretenir cette armée de conquête. Mais quoi de plus ? A qui ce pouvoir appartenait-il et quel était son objectif ? Dans un premier temps, les conquérants ne se souciaient pas de convertir les autres : ils n'y avaient pas intérêt, car cela aurait diminué le montant des impôts (pesant sur les infidèles). Mais qu'apportaient les gouvernants aux gouvernés, sinon l'assurance de ne pas les tuer ? Les chrétiens, les Juifs, les zoroastriens conquis ne s'identifiaient pas au projet du califat, qui leur imposait une domination étrangère assortie d'impôts plus lourds. Pour la première fois depuis des siècles, il y eut à nouveau des révoltes agraires en Egypte.

De plus, qu'arrivait-il quand les conquis commençaient à se convertir à l'islam et à apprendre l'arabe ? Leur fallait-il encore payer des impôts ? Devenaient-ils des arabes, avaient-ils un droit sur le fonctionnement de l'empire ? Ces questions pressantes furent vite compliquées par un autre fait : les conquérants établis dans les villes engagèrent des mercenaires non-arabes, en particulier des Turcs, pour combattre à leur place. Comment, dans ce cas, tracer les lignes de l'identité et du pouvoir ? A qui toute cette structure était-elle censée profiter ? Enfin, sur quels critères choisir les gouvernants ? Il n'y eut aucun consensus sur ces problèmes critiques, et donc des dynasties, des familles, des tribus concurrentes rassemblaient des partisans. Ces factions se soupçonnaient l'une l'autre dès l'abord et se faisaient périodiquement la guerre. L'unité politique des musulmans, ordonnée par le Coran, était une fiction pieuse. La guerre civile commença presque immédiatement et finalement, le califat se désintégra, en même temps que des dynasties régionales se libéraient du centre. Les factions concurrentes étaient en violent désaccord mutuel sur l'identité et les objectifs, et sur les questions de savoir qui devait gouverner qui, pourquoi, et comment ? Les Romains avaient réglé ces questions depuis longtemps.

p. 417
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