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Citation de Charybde2


Julien vient d’entrer au collège. Une heure de bus à l’aller, une heure au retour. Des profs assommés par les calmants ou à la limite de l’apoplexie. Le cirque de la domination masculine et des coups de poing à l’épaule dans la cour de récréation. La colle sniffée aux toilettes, les génitoires schématisés au marqueur sur les cloisons, le mystère des filles et les rires des copains.
L’Oric I, création de cinq messieurs austères en costume cravate sur le campus de Cambridge, s’est implanté dans les foyers. La revue Tilt publie des retranscriptions de Centipede ou d’Invaders en basic. Starfix fait sa couverture sur John Travolta et on trouve les Livres dont vous êtes le héros dans tous les kiosques. Rechercher la couronne des rois dans la forteresse de Mampang, atteindre la cité perdue de Vatos et détruire les statuettes convoitées par Vatos, déjouer les pièges du labyrinthe de Sukumvit, peuplé de monstres innommables. Si vous avez le parchemin écrit par le squelette guerrier, rendez-vous au 222. Sinon, allez au 247.
Le professeur d’anglais est absent. Julien choisit sciemment d’ignorer les injonctions parentales qui lui interdisent de quitter le collège avant le passage du bus. Deux copains, Rémi et Thomas, lui proposent de rentrer en stop.
Ils tendent le pouce depuis cinq ou six minutes lorsque Thierry, le père de Thomas, passe en camionnette à la sortie de l’agglomération. Le véhicule d’un blanc douteux, dont les flancs s’ornent d’une inscription au pochoir – « Boucherie Imbert » – , s’arrête sur le bas-côté. Un visage replet, quoique légèrement affiné par un bouc à la Frank Zappa, s’encadre par la vitre entrouverte. Thierry a trente-cinq ou trente-six ans. Sa mauvaise peau, son ventre rebondi sont autant de vestiges d’une adolescence que l’on devine difficile. Il a coupé ses cheveux bruns court devant et long derrière, sacrifiant en cela à une mode capillaire du moment. Il fait monter les enfants à l’arrière. D’épaisses volutes de fumée masquent à peine l’odeur de sang. Personne ne se risque à ouvrir les vitres par un froid pareil. Durant le trajet – une quarantaine de minutes – Thierry allume trois nouvelles cigarettes. Les mégots ne quittent pas ses lèvres, même lorsqu’il prépare sa viande le matin. Certains clients soupçonnent l’artisan d’agrémenter ses steaks de quelques pincées de cendre involontaires. D’autres s’interrogent sur le mode de vie atypique du boucher : pensez donc ! Seul avec un fils, jamais remarié. Les gamins, eux, n’ont cure de ces spéculations. Thierry est le père de Thomas, et puis il les ramène chez eux, c’est bien suffisant. Le conducteur interroge ses jeunes passagers sur le collège, raconte deux ou trois anecdotes de son cru, à l’époque où il était élève dans le même établissement, puis demande à Rémi et Julien des nouvelles de leurs parents. La radio diffuse en sourdine un reportage sur les demi-finales du championnat du monde d’échecs. Kasparov l’a emporté sur son adversaire, Kortchnoï, en utilisant la variante Paulsen de la défense sicilienne.
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