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Citation de Ahoi242


On le sait peu, en effet, mais, au milieu du XIXe siècle, il existait en France environ vingt mille crétins et cent mille goitreux répartis entre les différentes régions montagneuses. Les départements les plus touchés étaient la Savoie et les Hautes-Alpes, puis venaient la Haute-Savoie, les Basses-Alpes, l’Isère, l’Ardèche, la Drôme, les Alpes-Maritimes, les Hautes-Pyrénées, l’Ariège, la Haute-Garonne. Au total, vingt-quatre départements français avaient leurs crétins, essentiellement près des massifs. L’ensemble des Alpes connaissait ce phénomène, le crétinisme touchant une partie de la Suisse, notamment le Valais, ou le Piémont et le val d’Aoste en Italie, les montagnes de Salzbourg, de Styrie et de Carinthie en Autriche, le sud de la Bavière en Allemagne, étagement géographique qui conduira rapidement à parler d’un « crétinisme alpin ». La description des symptômes était invariablement la même : « État de dégénérescence physique et d’arriération mentale qui se révèle souvent par la présence d’un goitre. Le crétin est de petite taille et son infantilisme se poursuit longtemps. Le front est bas, le faciès souvent ridé, la mimique inexpressive. Quant à l’état mental, il va de l’idiotie jusqu’à l’arriération simple, suivant les cas. »

Les crétins font leur entrée dans l’histoire par l’intermédiaire des récits des voyageurs parcourant les Alpes, notamment dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Le phénomène, assez précisément décrit, est souvent associé au caractère hostile et reculé des montagnes d’altitude. Mais le crétin apparaît également comme un monstre de contraste, une note de laideur et d’idiotie dans un paysage à la beauté célébrée et à la réputation propre et saine. Et bientôt, de monstre repoussant, il se transforme en un élément pittoresque du folklore alpin. Dans le Guide du voyageur en Suisse de Thomas Martyn, publié à Lausanne en 1788, on trouve cette description archétypale à propos du Valais : « Les imbéciles, qu’on appelle Crétins, sont en grand nombre. Ici, les goitres ou cous enflés commencent également à être communs. Leur corps ressemble à celui d’un nain, la physionomie est difforme et sombre, et l’esprit dépourvu de toutes ses facultés. Il ne reste dans quelques-uns qu’un mouvement lourd et pesant, avec une grimace qui ne signifie rien ou qui montre seulement que le crétin est un simple animal vivant. »

Le crétinisme alpin est l’objet d’études médicales et scientifiques nombreuses tout au long du XIXe siècle, cernant une batterie de causes. L’étiologie semble multiple, distinguant six grandes raisons possibles : l’intoxication miasmatique, la théorie des climats (qui incrimine des masses d’air stagnantes et humides en fond de vallon), la mauvaise qualité des eaux (provenant de la fonte des glaces et des neiges), la toxicité géologique et minérale diffusée par l’écoulement des torrents, l’insuffisante ioduration des milieux, et l’hérédité chargée, notamment la consanguinité frappant des milieux isolés et reculés. Les thérapies se classent, elles aussi, en six catégories : assainissement du sol, des habitations et des eaux potables, hygiène personnelle, amélioration de l’alimentation, mesures propres à augmenter l’aisance générale en développant l’agriculture, l’industrie et le commerce, mesures ayant pour but de combattre l’influence de l’hérédité, par les migrations et les voyages, et, enfin, un traitement médical par préparations iodées.

L’idiotie des montagnes et le goitre caractéristique qui souvent l’accompagne sont des fléaux qui sont étudiés, classés, disséqués, débattus, dans l’espoir d’être mieux connus et vaincus. Le crétinisme suscite ainsi une véritable « science de l’Alpe », produisant enquêtes de terrain, déplacements de crétins (vivants ou morts) vers les principales facultés de médecine de l’Europe, autopsies, rapports, traités, communications, conférences et une hypertrophie de thèses de médecine – une centaine soutenue en France au XIXe siècle. L’endémie crétine se trouve prise en charge par les autorités au niveau national, lesquelles, à partir des années 1860 dans l’Hexagone, en font un problème de santé publique, une cause médicale de première importance.

Le phénomène ne connaît pourtant son éradication que tardivement au regard des efforts déployés, au début du XXe siècle, lorsque des campagnes prophylactiques massives et systématiques diffusent le sel iodé dans les montagnes. Car on s’est peu à peu aperçu qu’une cause dominait les autres dans cette pathologie : le manque d’iode dans les terres reculées et érodées d’altitude, entraînant le dysfonctionnement de la glande thyroïde.

Introduction. Un idiot sur les bords, ou comment je suis devenu crétin
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