Un autre de mes amis s'exprimait ainsi : « Ne dites jamais
d'un homme qu'il est économe. Économe de son argent,
économe de sa vie. L'économie est une autre forme de la
lâcheté ».
Les peintres allemands du dix-neuvième siècle ont fait plus encore : tandis que les uns voulaient enseigner la foule, les autres cherchaient à lui plaire. Beaucoup sont devenus populaires, on trouve leurs œuvres dans les maisons des pauvres. Sans doute la faveur du public n'est pas toujours allée aux maîtres. Mais pourquoi condamner les peintres qui sacrifient au goût du jour? grâce à leurs efforts, la foule ne se désintéresse pas des artistes et les artistes continuent de s'adresser à la foule.
Il semblerait moins facile d'expliquer pourquoi ces peuples d'esprit réaliste n'ont pas revêtu leurs symboles d'une forme plus nettement concrète. Toutes les créations de Michel-Ange sont vivantes ; Durer n'a donné qu'une forme vivante d'une idée abstraite, la Mélancolie. Chez lui, chez Holbein, chez tous les idéalistes allemands, le péché, la vertu, la douleur sont restés des symboles.
Le coup de pinceau d'un peintre est comme son écriture. L'idée, la composition, le choix du sujet, la manière de le comprendre, la couleur, la qualité de la pâte appartiennent surtout à l'école; le coup de pinceau, c'est le peintre même; on ne pourrait l'imiter sans faire un faux.
L'art du Nord, qui traite séparément l'idéal et le réel, n'essaie donc pas de produire le beau. Son originalité ne proviendrait-elle que de son impuissance? il ne saurait donner ni une forme idéale à la réalité, ni une forme réelle aux songes de l'idéal?