J’avais promis à Ali que je ne le quitterais jamais, que je l’aimerais toujours, que j’aimerais tous ceux qu’il aime et que je l’aiderais à les aimer, par tous les temps. Je serais tout pour lui et à condition de l’avoir, lui, le prince de mon cœur à mes côtés, je ne manquerais de rien.
Je m'appelle par d'autres noms encore; des noms secrets de mon baptême de feu, de mes jours de cendres. Je ne suis pas une héroïne, mais je ne suis pas non plus la chose d'autrui. Peut-être ne sont-ce là que des histoires d'une femme folle qui se nommerait grand écart. Qui se tiendrait tendue, distendue, entre l'ici et l'ailleurs, choisissant le tout comme la sainte. Sainte Thérèse. Mais je ne suis pas une sainte; ma vie ne consiste pas à faire des choses ordinaires d'une manière extraordinaire. Mais elle consiste à adorer les histoires et à en raconter. Mal. Mais quand même. Car sans histoires, j'aurais fait naufrage dans les sables brûlants d'ici.
Moi et lui. Moi et vous. Moi et les filles. Sauce curry et mia yacua, Noël et Tabaski, la messe et la Fatiha, vos pieds dans mes plates-bandes et la bèche pour tout recommencer, l’insulte aux lèvres, le marché puant et ma cuisine propre, votre amour de la visite, à l’improviste, de préférence tôt le dimanche matin ou tard le soir, et mon amour du silence de ma chambre.
Le jour où je découvrirai que ces règles ne sont pas aussi universelles que le prétend Ali, je les haïrais encore plus. De m’avoir eue, d’avoir fait de moi une triple imbécile : la victime d’un époux plus royaliste que le roi; la proie d’un continent hypocrite qui saigne les uns pour perfuser les autres; la dupe qui s’est sacrifiée, et non seulement par procuration, sur l’autel de valeurs révolues, si tant est qu’elles aient jamais existé à l’échelle vantée. Au grand banquet du donner et du recevoir africain, il y a ceux qui donnent, toujours les mêmes, la minorité, les bailleurs, les ventres mous; et ceux qui reçoivent, à savoir tous les autres.
Iya en un mot aussi, qui, dit à la manière d’ici, veut dire « mère », sur de grandes étendues de l’Afrique. Mère, dans son immense étendue de sens, restreint ni aux femmes ni à la biologie.
Que faire lorsque l’on s’aperçoit que ça ne va vraiment pas? Feindre, au nom de la paix? A cette paix-là je préfère mille guerres, toutes ouvertes. Je te mangerais bien la peau et les yeux, parce que tu as trahi et que je suis inassouvie et insoumise : je ne me rendrai jamais. Je veux ta peau et je veux que tu le saches. Je ne me couche plus devant la demi-vie. Je veux tout, et le pain et la mie, et j’exige ça juste de moelleux et pas plus, ferme comme il faut, mais sans excès, cuit à point et point trop.
Je suis professeure de danse pour enfants expatriés et enfants locaux privilégiés depuis cinq mois. Contrairement à ce qu’Ali avait pensé, docteur-ès-lettres polyglotte, je chômais à Niamey avant d’accepter cette offre. Le pays ne marche pas comme il l’avait imaginé. Tout passe par la filière clientéliste des parents-amis-et-connaissances. Les parents-amis-et-connaissances d’Ali n’ont pas le bras long dans l’ordre contemporain, et nous sommes l’un et l’autre, trop fiers pour lécher les bottes.
Epousés, toi et moi, advienne que pourra. Puisse la route être longue, longue, tenace comme l’herbe d’or, infinie comme le désert, infatigable comme la mer.
Moi: fantaisies blanches et rituels blancs d’une femme noire dans la terre ocre du Sahel. Vous : taquins et poseurs d’étiquette. Ali a ramené une nassara à la peau noire. Vous : lucides et évaluateurs : cette nassara ne tiendra jamais. Donnons-lui un an ou deux, à tout casser. Ce ne sera ni la première, ni la deuxième, ni la dernière fois…
En Afrique on est si généreux qu’on donne ce qu’on n’a pas. Rien fois rien égale un beau cadeau qui fasse honneur!