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Citation de Partemps


DEUXIÈME LETTRE

Paris, 28 septembre 1932.

À J. P.

Cher ami,
Je ne crois pas que mon Manifeste une fois lu vous puissiez persévérer dans votre objection ou alors c’est que vous ne l’aurez pas lu ou que vous l’aurez mal lu. Mes spectacles n’auront rien à voir avec les improvisations de Copeau. Si fort qu’ils plongent dans le concret, dans le dehors, qu’ils prennent pied dans la nature ouverte et non dans les chambres fermées du cerveau, ils ne sont pas pour cela livrés au caprice de l’inspiration inculte et irréfléchie de l’acteur ; surtout de l’acteur moderne qui, sorti du texte, plonge et ne sait plus rien. Je n’aurais garde de livrer à ce hasard le sort de mes spectacles et du théâtre. Non.

Voici ce qui va en réalité se passer. Il ne s’agit de rien moins que de changer le point de départ de la création artistique, et de bouleverser les lois habituelles du théâtre. Il s’agit de substituer au langage articulé un langage différent de nature, dont les possibilités expressives équivaudront au langage des mots, mais dont la source sera prise à un point encore plus enfoui et plus reculé de la pensée.

De ce nouveau langage la grammaire est encore à trouver. Le geste en est la matière et la tête ; et si l’on veut l’alpha et l’oméga. Il part de la nécessité de parole beaucoup plus que de la parole déjà formée. Mais trouvant dans la parole une impasse, il revient au geste de façon spontanée. Il effleure en passant quelques-unes des lois de l’expression matérielle humaine. Il plonge dans la nécessité. Il refait poétiquement le trajet qui a abouti à la création du langage. Mais avec une conscience multipliée des mondes remués par le langage de la parole et qu’il fait revivre dans tous leurs aspects. Il remet à jour les rapports inclus et fixés dans les stratifications de la syllabe humaine, et que celle-ci en se refermant sur eux a tués. Toutes les opérations par lesquelles le mot a passé pour signifier cet Allumeur d’incendie dont Feu le Père comme d’un bouclier nous garde et devient ici sous la forme de Jupiter la contraction latine du Zeus-Pater grec, toutes ces opérations par cris, par onomatopées, par signes, par attitudes, et par de lentes, abondantes et passionnées modulations nerveuses, plan par plan, et terme par terme, il les refait. Car je pose en principe que les mots ne veulent pas tout dire et que par nature et à cause de leur caractère déterminé, fixé une fois pour toutes, ils arrêtent et paralysent la pensée au lieu d’en permettre, et d’en favoriser le développement. Et par développement j’entends de véritables qualités concrètes, étendues, quand nous sommes dans un monde concret et étendu. Ce langage vise donc à enserrer et à utiliser l’étendue, c’est-à-dire l’espace, et en l’utilisant, à le faire parler : je prends les objets, les choses de l’étendue comme des images, comme des mots, que j’assemble et que je fais se répondre l’un l’autre suivant les lois du symbolisme et des vivantes analogies. Lois éternelles qui sont celles de toute poésie et de tout langage viable ; et entre autres choses celles des idéogrammes de la Chine et des vieux hiéroglyphes égyptiens. Donc loin de restreindre les possibilités du théâtre et du langage, sous prétexte que je ne jouerai pas de pièces écrites, j’étends le langage de la scène, j’en multiplie les possibilités.
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