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Citation de sylvaine


Pour Eva, le regard que les indigènes posaient sur elle était la preuve qu’elle s’était trompée toute sa vie, mais aussi la preuve qu’elle pouvait encore apprendre, corriger ses erreurs, laisser derrière elle la peur qui animait chacun de ses actes (peur de l’immobilité, du silence, du vide qui se cachait derrière tout ce qui était solide). Il suffisait que les yeux compatissants et moqueurs des indigènes la regardent pour qu’elle se sente réconfortée, accompagnée soudain de la certitude que toute sa vie antérieure n’avait été qu’une grande erreur de perspective et que l’unique bonne idée qu’elle avait eue était d’aller vivre dans un endroit où les personnes remarquaient cette erreur fondamentale avant même qu’elle ouvre la bouche.
Outre le plaisir que lui donnaient ses rencontres avec les indigènes, elle développa une dépendance physique, bien plus forte que celle de la drogue, à la jungle elle-même. Au silence blotti derrière tous ses bruits la nuit, au mystère tapi dans sa sombre humidité, à l’absence de mystère en chacun des êtres vivants qui la peuplaient. Jamais elle ne ferait partie de ce monde, elle le savait bien, mais elle ne pouvait plus désormais être heureuse en ville. Dès la première sortie, elle comprit que la prise de conscience de l’inconvenance absolue de son existence et de celle de sa civilisation n’était pas une tragédie, mais la seule occasion de laisser derrière elle tout le pesant fatras qui la lestait depuis des années, l’écrasait contre le sol.
Dans la jungle, qui elle était n’importait pas, ni d’où elle venait, ni ce qu’elle avait possédé avant d’arriver. Ce qu’elle faisait ou ne faisait pas sous ces arbres n’avait pas non plus d’importance. Elle pouvait mourir, et la jungle s’en foutrait. Elle pouvait guérir trente personnes sans que cela modifie d’un iota le poids absolu de la manigua. Elle pouvait avoir des convictions politiques, des principes moraux, des souvenirs, une personnalité, des intérêts, des désirs, mais pour la jungle, elle n’était qu’un être minuscule qui respirait. Un être de plus, plus vulnérable que les autres.
p 60
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