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Citation de Charybde2


La démesure technologique et l’apocalypse environnementale se conjuguent pour susciter une sidération, une sorte de court-circuit qui fonctionne dans le long métrage [Blade Runner 2049, cité en introduction] exactement comme dans notre esprit de citoyen du troisième millénaire. Dans les imaginaires du futur est né du désir de sortir de ce paradoxe violent, de trouver des parades au sentiment d’être coincé entre ces deux imaginaires de polarité opposée. Son pari est d’abord de refuser une première voie sans issue : la technologie comme unique réponse aux effondrements écologiques – dont la crise du Covid-19, catastrophe virale, pourrait être une modalité. Croire qu’il n’y aurait d’autre possibilité que de laisser les technologies les plus sophistiquées de demain réparer les destructions de celles du capitalisme industriel d’hier a quelque chose d’aberrant. Mais au-delà du refus d’un usage aliénant des techniques contemporaines, entre contrôle des individus et aveuglement vis-à-vis de la planète, cet essai cherche à repérer les ruelles pouvant permettre d’éviter une seconde impasse : l’idée qu’il faudrait choisir l’écologie contre toute technologie, l’une et l’autre devant rester totalement séparées, condamnées à une irréversible incompatibilité…
La prospective pourrait contribuer à nous extirper de ces culs-de-sac. Son défi serait dès lors non seulement d’intégrer les enjeux environnementaux, comme elle le fait déjà, mais aussi de marier les apports de son volet traditionnel, inspiré de sciences sociales, à ceux de ses variantes plus « technoscientifiques ». La promesse est belle. J’ai pourtant l’impression que ses scénarios pour le futur peinent à prendre la mesure des conflits et ambivalences qui aboutissent aux impasses à la source de cet essai. Raisonnable, retenant les leçons de l’histoire et à l’écoute des signes forts ou faibles de notre actualité, la prospective éclaire des routes pour demain sans changer les règles du jeu de nos sociétés. Elle aide à la réflexion pour définir des stratégies, puis pour agir sur le réel. Mais elle ne rebat pas suffisamment les cartes pour creuser des chemins de traverse, perçus au départ comme impossibles et pourtant in fine plausibles. Elle a du mal à remettre en cause les hypothèses qui fondent l’économie capitaliste telle que nous la subissons aujourd’hui. Bref, elle s’interdit de transformer un jeu de Monopoly en une partie de marelle. Est-ce la subjectivité qui lui manque pour échapper aux paradigmes dominants de son époque ? Pour porter son regard loin, de façon aussi libre, diverse et irrévérencieuse que les meilleures œuvres de science-fiction ? Nourris comme elle d’enquêtes méticuleuses, les mondes de la série Black Mirror ou des romans de Kim Stanley Robinson, pour ne citer qu’eux, radiographient nos sociétés au filtre de la discordance, de l’imprévisibilité humaine et non humaine, sociale ou climatique. Les enjeux croisés et contradictoires des technosciences et de l’effondrement de nos écosystèmes vibrent depuis longtemps au coeur de la science-fiction la plus affûtée, mais aussi la plus engagée politiquement. Repérer et analyser en profondeur nos imaginaires de demain me semble essentiel à toute démarche de prospective radicale, et sur un autre registre, à toute action sur le long terme de transformation du monde. Ainsi s’explique le parti pris de ce livre : considérer les séries et les films de cinéma, les nouvelles, les romans, les BD d’hier et d’aujourd’hui mettant notre futur en fiction comme un corpus de pistes et de savoirs non seulement pour comprendre les impasses contemporaines de l’écologie et des technologies, mais pour en entrouvrir des voies alternatives. Ce parti pris ne positionne pas Dans les imaginaires du futur à rebours de la prospective traditionnelle ou technologique, mais en complément critique et engagé de son travail. Histoire d’ajouter de la subjectivité à son objectivité, des récits dissonants à ses scénarios aux critères multiples, de l’imagination débordante à ses explorations bordées d’avenirs potentiels.
Dans les imaginaires du futur cherche à répondre à une question, en creux des deux Blade Runner de 1982 et de 2017 : comment tracer les chemins d’autres futurs, refusant l’inféodation de l’écologie aux pouvoirs du numérique, mais rejetant aussi l’opposition entre l’imaginaire technologique de transgression des limites et l’imaginaire environnemental d’affirmation des limites d’un système-Terre enchevêtré aux êtres vivants, végétaux et minéraux ? Autrement dit : n’y a-t-il pas moyen, en puisant dans les imaginaires de science-fiction, de refuser de choisir entre, d’un côté, l’abolition des limites de l’humain et de la Terre par la technoscience et, de l’autre, le retour pur et simple à ces mêmes limites telles que les trace un certain type d’écologie ?
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