Surtout, et le bibliomane le confirme, La Bruyère débusque chez la plupart de ces lecteurs un travers inattendu : ils ne lisent pas les œuvres, ce qui ne les empêche pas pour autant d’en parler, préférant au contact direct avec les textes des préjugés dictés par leurs humeurs ou par l’opinion d’autrui. C’est donc l’œuvre même qui se trouve menacée, altérée, ou même dissoute dans les conversations de clans rivaux, le salon mondain prenant des allures de champ de bataille défini par de violentes rivalités sociales. Le constat du moraliste est sévère : le mérite de l’auteur et la valeur de l’œuvre ne sont pas les conditions intangibles du succès public, soumis aux modes littéraires et à l’amour-propre de chacun. La Bruyère suggère toutefois en creux l’existence d’un bon lecteur, dont la pratique repose sur une éthique de la lecture qui, tout en respectant le travail de l’auteur, appréhende l’œuvre avec raison, tempérance, sincérité et naturel, véritables conditions d’une lecture impartiale et honnête.