AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Read_more_books


Le nombre de vivants va bientôt rattraper celui des morts. A l’époque d’Arthur C. Clarke, en 1968 plus précisément, ils étaient trente fois plus nombreux que nous. Aujourd’hui, les vivants se sont multipliés avec une telle rapidité que les fantômes ne sont plus que quinze fois plus nombreux que nous. Angie connaît les chiffres : il y a plus de sept milliards d’individus sur Terre, et cent sept milliards de disparus.

Le père d’Angie fait partie de cette dernière catégorie. Du moins le croyait-elle. Elle l’a souvent imaginé auprès d’elle, tel le chef de sa petite tribu fantôme, forte de ses quinze membres. Elle se le représentait comme il était sur la photo avec sa mère. On aurait dit qu’il avait le même âge qu’elle aujourd’hui : dix-sept ans. Musclé et élancé, avec un large sourire éclatant et la peau noire. Il porte une casquette de base-ball à l’envers, comme un blaireau des années 1990, se dit-elle. Sur la photo, lui et sa mère, Marilyn, sont au bord de l’océan. Sa mère a enfilé une salopette par-dessus son bikini. Des créoles étincelantes pendent à ses oreilles, et une longue chevelure dorée encadre son visage pâle. Appuyé contre lui comme si c’était la chose la plus naturelle au monde, elle rit au éclats, la tête légèrement en arrière. Il la tient par les épaules. Derrière eux, l’entendue bleue de la mer semble se prolonger jusqu’au ciel.

Angie avait découvert ce cliché un an auparavant. Elle se préparait pour le dîner d’anniversaire que donnait Sam Stone pour ses seize ans, fouillant dans les tiroirs de sa mère, partie au travail, à la recherche d’un rouge à lèvres. Pour une raison ou pour une autre, Angie poursuivit son exploration. Elle se retrouva à tout retourner sans vraiment savoir pourquoi. Puis, au fond du tiroir à sous-vêtements, elle tomba sur un boîte en bois. Elle contenait une vieille enveloppe en papier kraft pleine à craquer. Et juste en dessous, la photo.

Angie contemplait le jeune homme noir souriant qui lui rendait son regard, et même si c’était la première fois qu’elle le voyait, elle sut aussitôt que c’était son père. Durant une fraction de seconde, elle se demanda avec qui il était. En y regardant de plus près, elle comprit que, évidemment, cette jeune fille était sa mère. Elle semblait vraiment insouciante. Jeune. L’avenir devant elle. Heureuse.

Soudain, Angie sentit son cœur se serrer. Elle aurait été prête à tout pour extraire ce garçon de la photo. Faire de lui un homme. Son père. L’obliger à redonner ce sourire-là à sa mère.

Au contraire, elle tenta de s’introduire dans le cliché. D’imaginer ce à quoi cela aurait ressemblé de se trouver là avec ses parents. De deviner la chaleur du soleil sur sa peau et le parfum de l’océan. Quand bien même elle n’était jamais allé à la mer, elle croyait entendre, malgré leurs éclats de rire, le bruit des vagues dans le lointain.
Commenter  J’apprécie          20





Ont apprécié cette citation (1)voir plus




{* *}