Tu veux que je te dise ? Toutes ces personnes mortes nous condamnent à avoir honte toute notre vie, qui que nous soyons, où que nous soyons. Honte d'être Rwandais, honte d'être humain tout court. Ils nous condamnent au silence, le silence des larmes qu'on ose même plus verser de peur de réveiller les souffrances endurées.
Chaque pas posé devant l'autre propulse Mutesi à l'intérieur d'elle-même, jusqu'à son arrivée sous l'ombre de l'Umuko. L'arbre majestueux, visible à plusieurs kilomètres, planté en bonne place au milieu de la cour, opposant son écorce fissurée aux brutalités des temps qui changent. Il est symbole à lui tout seul de la présence bien enracinée de leurs aïeux, abri de toutes les générations qu'il a vu naître, grandir, vivre puis partir.
Mutesi qui revient, elle non plus, n'est plus tout à fait la même... Elle a appris à tracer seule sa route. Elle continue certes, comme hier, à rire, sentir et pleurer vrai mais elle est désormais capable de rire pour l'extérieur et pleurer à l'intérieur.
Proverbe rwandais : "Une famille qui ne parle pas est une famille qui meurt".
Elle nous disait : "Tout ce qui vous fait pleurer est forcément important pour vous, mais pas forcément pour les autres. Alors, ne pleurez pas devant n'importe qui, ne l'oubliez jamais ".
Elle aimerait leur désapprendre tout ce par quoi l'Occident a pu les nourrir en matière de préjugés sur son pays et plus largement sur l'Afrique.
La colère et les regrets n'effacent aucune blessure.
On ne peut pas changer tout ce qu'on affronte.