AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de martineden74


Un soir, Papa autorisa mon frère à sortir la boîte de billes. Alors que j’annonçai mon désir de mer mon frère me répondit que « les filles ne jouent pas aux billes », que c’était un jeu de garçon. Cela ne faisait aucun sens dans l’esprit d’une fille de quatre ou cinq ans, et j’insistai sur mon droit de jouer en ramassant des billes pour les jeter. Papa intervint pour me dire d’arrêter. Je n’écoutai pas. Sa voix se fit de plus en plus forte. Puis, soudain, il me saisit, brisa une planche de la porte moustiquaire pour se mettre à me frapper avec, et me dit : « Tu n’es qu’une petite fille. Quand je te dis de faire quelque chose, c’est un ordre ! ». Il me frappa encore et encore, jusqu’à ce que je reconnaisse que j’avais bien compris ce que j’avais fait. Sa rage, sa violence attiraient l’attention de toutes et tous. Notre famille se tenait immobile, envoûtée, captivée par la pornographie de la violence patriarcale. Après ce passage à tabac, je fus bannie — forcée de rester seule dans le non. Maman entra dans ma chambre pour apaiser ma douleur, et me dire de sa douce voix du sud : « J’ai essayé de te prévenir. Tu dois accepter que tu n'es qu'une petite fille et que les filles ne peuvent pas faire ce que font les garçons ». Au service du patriarcat, sa tache consistait à confirmer que Papa avait fait ce qu’ll fallait en me remettant à ma place, en rétablissant l’ordre social naturel.
Je me souviens très bien de cet événement traumatisant, car c’est une histoire qui fut sans cesse racontée au sein de notre famille. Personne ne se préoccupait du fait que cette répétition permanente puisse déclencher un stress post-traumatique ; la re-raconter était nécessaire à la fois pour renforcer le message et pour rappeler à toutes et tous mon état d‘impuissance absolue. Le souvenir de cette petite fille fouettée brutalement par un homme grand et fort servait non seulement à me rappeler mon rôle genré, mais aussi à rappeler à celui et celles qui avaient regardé et qui se souvenaient, à tous mes frères et sœurs, ainsi qu’à notre mère adulte, que notre père patriarcal était le chef de la famille. Nous devions nous rappeler que si nous n’obéissions pas à ses règles, nous serions puni·es, puni·es même jusqu’à la mort. C’est ainsi que nous avons été formé·es, par expérience, à l’art du patriarcat.
Cette expérience n’a rien d’unique ni d’exceptionnel. Il suffit d'écouter les voix des adultes blessés, de tous ces enfants qui ont été élevés au sein de foyers patriarcaux, pour entendre différentes versions de la même histoire : celle de la violence à laquelle on recourt pour consolider notre endoctrinement et nous faire accepter le patriarcat.
Commenter  J’apprécie          20





Ont apprécié cette citation (2)voir plus




{* *}