LES ANIMAUX DE DARWIN
Le lièvre
C'est par une soirée de mai bleu pâle
sur une route déserte reliant deux villages
atrocement moches que je croisai mon lièvre.
Un mâle, une hase ? Lui ou elle
à coup sûr en quête d'herbe. Tributaire
d'une évolution aveugle, pattes postérieures
fouettant le talus d'ombellifères
ce con de lièvre a bondi contre la lune
de mes phares (une lignée centenaire :
trop peu pour apprendre à se garder
des bagnoles). Frein, coup de volant.
Le lièvre a esquissé un dernier zigzag
désespéré… (putain, lièvre, tu planes
plus haut que ma jugeote, des mètres
au-dessus de l'asphalte à l'éclat de jais :
reflété dans le brillant de ton œil mouillé,
ton terrier refroidi. Et tu tombes,
tu chutes, déguerpis, tu vis)…
Mais, au passé pas si simple, je le laissai
à son sort, le cul en lambeaux,
à une agonie dont le sens lui échappait,
…
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