Chair de pêche
Par la présente, je t’offre une page du livre
de mes rêves : cette nuit, une fois de plus, ça a été
à hurler. Je me suis révélé nuisant insecte tandis
que tu étais pêche ; toqué, j’ai papillonné
autour de toi, atterri sur le duvet de ta peau, goûté
ta pulpe : lubrique hyménoptère piquant
sa trompe dans sa friandise. Or, l’hébétude
a envahi ma tête radoteuse : tu étais la drogue que
je suçotais… jusqu’au moment où tu m’as filé
une putain de gifle. aurais-tu refoulé l’épilogue,
ma chose à moi ? vide de t’avoir aspirée, je vrombissais
(tu as gratifié ma forme humaine d’une bourrade).
Qu’en déduis-tu ? Mon subconscient a révélé
une pulsion orale ; rien de neuf pour toi, n’est-ce pas,
ma gourmandise, mon addiction sans retour à
tes formes enrobées ? J’ai passé la journée à mon bureau ;
la lumière du jour a révélé des images plus civilisées,
par exemple : « Tes cheveux sont filés de soleil. »
En réalité, je voulais dire : « T’es d’un blond
mayonnaise. » L’image des frites te donne
un haut-le-cœur ? Au fond, j’aspire à te fourrer
dans ma bouche. Incontestable mauvais goût ! Mieux vaudrait
une rose, une lune, et sous ta jupe un crépuscule décent.
Mais me permets-tu d’abord de te croquer, chérie ?
FLEURS ET CHIENDENT
Sur une tombe caduque
Une anecdote de peu : je me gare près de l'église
de N., en face de a banque (m'apprêtant à sacrifier
aux irritants rituels du capitalisme tardif),
quand, à l'entrée du cimetière, j'aperçois des mots
noirs sur un placard jaune. Je gèle sur place au soleil ;
réjouie, la grille grince, personne ne se retourne.
La nuit passée, des éclairs ont terrifié le chien :
vacarme céleste qui échappe à son cerveau
atavique de loup. Tandis qu'en moi, un homme
de jadis redoutait la vengeance d'un fou,
barbu brandissant un marteau… Grandioses
courts-circuits tout là-haut ! Mais revenons à N. :
impression qu'un aiguillon de soleil tatoue
une phrase effarante sur le dos de ma mémoire :
« Toute tombe caduque peut être vidée sans frais. »
Signé : votre commune. De l'autre côté, la banque ricane.
Mon crâne carillonne. Quand donc une tombe est-elle caduque ?
Qui l'occupe ? Pourquoi un refroidi devrait-il dégager ?
Sur le lit, le chien gémit. Dehors, le clocher s'éboule.
Au pied levé, le fonctionnaire habilité explique :
« Ben, monsieur, on fait jamais que recycler des os. »
p.29-30
LES ANIMAUX DE DARWIN
Le lièvre
C'est par une soirée de mai bleu pâle
sur une route déserte reliant deux villages
atrocement moches que je croisai mon lièvre.
Un mâle, une hase ? Lui ou elle
à coup sûr en quête d'herbe. Tributaire
d'une évolution aveugle, pattes postérieures
fouettant le talus d'ombellifères
ce con de lièvre a bondi contre la lune
de mes phares (une lignée centenaire :
trop peu pour apprendre à se garder
des bagnoles). Frein, coup de volant.
Le lièvre a esquissé un dernier zigzag
désespéré… (putain, lièvre, tu planes
plus haut que ma jugeote, des mètres
au-dessus de l'asphalte à l'éclat de jais :
reflété dans le brillant de ton œil mouillé,
ton terrier refroidi. Et tu tombes,
tu chutes, déguerpis, tu vis)…
Mais, au passé pas si simple, je le laissai
à son sort, le cul en lambeaux,
à une agonie dont le sens lui échappait,
…
p.21-22
C’est un étrange été…
Extrait 2
C’est un étrange été qui suggère la présence
d’une âme de par la nuit et la cime des arbres,
sorte de hibou, mi-gloutonnerie, mi-plainte
quant aux conditions de l’existence : à savoir
que les fils d’Adam, composés de chimie et de souvenirs,
finissent par se perdre dans le crépuscule —
inattendu, plus éphémère que le son de la cloche
qui se détache sur une lune géante, il se hâte
sus aux souris : protéine au cri strident, petit os,
peau, poils. Eh, toi, Darwin ! De l’innocence
dans notre malveillance ? Ce serait oublier
que les preuves épuisent la vérité.
…
C’est un étrange été…
Extrait 3
c’est un étrange été aux représentations
de joie romantiques ; le soleil palpe
ma peau, le vent fourrage dans mes cheveux ;
à l’ultime lueur, j’improvise aujourd’hui
un poème maladroit (genre : « Chérie, l’été
est court, on est déjà en août, vite, je t’en prie
embrasse-moi ») ; pendant que je bégaie ça, tu me prêtes
ta langue et, doux Jésus, déboutonnes ton chemisier ;
muet, emprunté, je précipite mon bonheur dans un abîme.
C’est un étrange été…
Extrait 1
C’est un étrange été, tonnerre sans orages
et averses soudaines tandis que les rayons
percent, inventé dirait-on par un mythomane
qui aspire de toutes ses fibres à un miracle
plus grand que ce qu’offre en général
le bulletin météorologique, par exemple
un zéphyr inhabituel caressant la mer,
semblable dans son obéissance à du cristal,
alors que je t’accompagnais vers l’horizon.
…