Benoît Rivillon

"Bien sûr, Outrebois n’est pas le village le plus célèbre de tout le nord de la France. Pour trouver mieux, il faut visiter Frohen- le-Grand, dans le Pas-de-Calais, ou plus au nord, Bergues avec son beffroi, ses fricadelles, ses postiers. En allant chercher jusqu’à Bruges ou Amsterdam, on trouve plus pittoresque, mais des villages, non ! Et pourtant personne n’en a jamais entendu parler, c’est même étrange. Alors que sa forêt est à elle seule une petite Brocéliande. J’y ai entendu mes premières chorales. Le bois du Roy et celui de Vice forment une falaise de feuilles où, là-bas comme nulle part ailleurs, le chant des oiseaux résonne longtemps, longtemps après qu’ils ont disparu. Messiæn aurait dû venir écouter ça. Leur chant a l’air d’être murmuré par une multitude d’arbres centenaires, voix des ormes, voix des chênes, aux troncs lacérés par les serments d’amour, pareilles à celles de mille choristes, pianissimo. Leur feuillage immense, orienté vers le village en contrebas, volète, soufflète, fait de l’ombre aux pâturages et offre un espace de résonance qui amplifie rumeurs et coups de tonnerre. Le vent, à s’y engouffrer plein nord, sonne les attaques ou les replis, gronde les enfants, prévient les hommes de se trouver un abri. Le moindre bruissement d’animal, le moindre craquement de branche sèche se trouve porté au-delà de son périmètre naturel. Comme le ferait une conque d’orchestre monumentale. Je ne connais pas d’autre endroit où la forêt paraisse si puissante. Dormir dans la chambre du haut, les rêves adossés aux lisières de ce bois, me rapprochait de tous les contes, de tous les esprits de la nature. Oui, Outrebois c’est un au-delà : « Outre les bois. Au-delà des bois ». Un village ceint par une barrière forestière, comme il y a des îles qu’une barrière de corail ceint."