Benoît Sourty vous présente son ouvrage "
Je m'enneige" aux éditions Asphalte éditions. Rentrée Littéraire janvier 2019.
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"[...], le muet transi d'amour qui s'épanche dans sa littérature à défaut de pouvoir le faire autrement - sa parole absente, son corps défaillant."
"Comme les aveugles entendent mieux que les voyants, peut-être les muets écrivent-ils mieux que les bavards."
J’essaye de me souvenir de la soirée d’hier, mais en suis incapable. Curieuse impression d’avoir une boîte vide et légère à la place de la tête. Un de ces jours qui commencent avec le moral dans les chaussettes et où je suis crevé avant même de me lever.
Certains de mes copains méditent au réveil, restent immobiles, assis en tailleur, et font des bruits étranges avec leur gorge durant des dizaines de minutes. Moi, je regarde le plafond et laisse venir les envies. Et ça marche !
Chacun connaît les pensées de l’autre au moment même où elles germent dans nos cerveaux atteints. Je sais par exemple parfaitement que cette image de notre mère perdue dans le couloir de la clinique ne va pas nous quitter de si tôt. De vrais jumeaux. Avec nos crises aux mêmes moments, ces crises qui sont certainement une façon qu’a la vie de nous faire morfler tous les deux, pour nous punir de je ne sais pas quoi. Et si elles ne se ressemblent pas – mon frère peut être terrassé sur son lit par la faiblesse de ses muscles en coton, tandis que moi suis immobilisé par la douleur des miens pétrifiés –, la vraie différence entre nous, c’est que moi, j’aime ma vie et n’en rien faire, alors que pour mon frère, cette injustice d’être cloués au sol et se voir de plus en plus diminués, abîmés physiquement, le dégoûte et lui fait détester la sienne.
Ma mémoire immédiate des événements serait-elle en train de s’effacer progressivement ? Impression étrange de ne pas maîtriser ce qui se passe à l’intérieur de moi. Juste subir – toujours cette histoire de hasard – avec pour seule certitude mon humeur maussade au réveil. D’autant qu’il me semble avoir passé la nuit sur un paillasson. Cela me paraît étrange, même improbable. N’ai-je rien d’autre à faire que de passer du temps sur un paillasson ? Je sens que s’installe en moi le germe d’une incompréhension, un début de quelque chose qui me déstabilise. Alors je préfère ne pas trop fouiller ni chercher à comprendre, et dans ces cas-là je me concentre sur ce qui m’entoure.
Curieux comme une odeur peut traverser les siècles. Il y a cent ans, il y a mille ans, pas certain que c’était la même vie, mais la même odeur, toujours là, qui me renvoie comme un flash, la révélation que je ne suis pas remonté dans la Volvo de mon père depuis qu’il l’a offerte à mon frère quand celui-ci a voulu quitter la maison. Un cadeau pour mieux le faire partir ? Je ne veux pas penser à ça maintenant. Pour le moment, je préfère plonger dans les souvenirs. Assis à la droite de mon frère, je règle le siège de façon à pouvoir étendre mes jambes, allonger mon dos et poser mes pieds contre le pare-brise. Comme le faisait notre mère. Voilà, c’est fait.
On fait ça pour le dépenser ensemble, cet argent, et j’interprète sa générosité à mon égard comme une façon pour lui de se donner bonne conscience pour le jour du jugement dernier, quand il s’agira de se défendre d’avoir été sans foi ni loi. C’est ce que je lui sors et ça le fait rigoler, cette histoire de tribunal céleste. « Pitié, même là-haut il y aura des comptes à rendre à des juges ?»
Il se marre.
"Devenir celle qu'elle retrouve la nuit sera désormais le but de toute sa vie, voilà ce qu'elle veut. Etre la femme qu'elle croise dans son sommeil."
Comment fait ma mère pour ne plus fumer, elle qui était à deux paquets de cigarettes par jour ? Ce sont certainement les médicaments qui lui permettent de tenir. De toute façon, ses doigts raides ne seraient plus en état de tenir quoi que ce soit, ni cigarette, ni rien.
Je me demande comment ça va se passer, le jour où moi-même je ne pourrai plus tenir un joint. Ce sera le signal.
Moi, en ce moment, un rien m’amuse. Et ça me rappelle l’époque où les défis que mon frère et moi nous lancions reposaient sur des jeux de mots idiots, que chacun devait deviner. Je me souviens par exemple de sa jubilation, le jour où il a vidé une boîte de petits pois dans le grand bocal rempli d’eau où nageait notre petite tortue. J’ai cru qu’il était devenu fou.