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Bibliographie de Bérengère de Montalier   (1)Voir plus

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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Il ne doit pas être loin de huit heures. La lumière du jour pointe son nez. Au bord de la table de la cuisine est posée, à côté d’une pile de courrier, une lettre recommandée adressée au nom de « Madame Viviane Carlotti, Société Eden Institut». L’enveloppe, expédiée par un cabinet d’huissiers, a déjà été décachetée. J’hésite un instant à y jeter un œil, puis finalement me fais un café que j’allonge d’eau chaude du robinet avant de repartir aussitôt dans ma chambre avec la tasse.
Par les jointures de la fenêtre, le mistral glacial s’infiltre aux quatre coins de la pièce. Je pose la tasse sur l’une des piles de polycopiés qui encombrent mon bureau et ouvre un des tiroirs de rangement sous mon sommier. Je soulève la planche de contreplaqué, récupère le sachet en papier kraft et m’assois en tailleur sur la couette froissée.
Je mélange au tabac d’une Vogue mentholée cette herbe que m’a refourguée Alex. Je tire sur le joint et rigole toute seule. Tête calée contre l’oreiller, j’attrape d’une main le magazine posé au pied du lit. À la rubrique people, où s’étalent en petites vignettes collées les unes à côté des autres les photos de l’inauguration de «la toute nouvelle terrasse du Bistrot de la Corniche», apparaissent des jeunes mecs plaisantant avec des filles habillées comme des mannequins, entre deux fauteuils design. Les pupilles dilatées, ils s’enlacent et échangent des coupes de champagne devant une vue à cent quatre-vingt degrés sur l’eau bleue de la Méditerranée. Ce pétard infect entre les lèvres finit par me donner la nausée. J’entends Maman qui s’agite au salon et crie des mots incompréhensibles. Je l’imagine, chiffon à la main, s’excitant à frotter sa table en plexi.
À l’extérieur, les rafales de mistral s’intensifient. J’écrase le mégot dans le cendrier marocain de ma table de nuit, laisse tomber le magazine sur l’édredon, me lève et récupère au milieu de mes vêtements et des emballages vides un hors-série sur l’architecture californienne. Le joint commence à faire effet. Sailor et Lula, enlacés sur la tapisserie rose, me narguent du regard. Debout, pieds nus sur la moquette, devant l’affiche de cinéma XXL, j’imagine que j’y suis. Sur cette putain de terrasse. Vêtue d’une robe en mousseline dont les plis délicats dansent au gré d’une brise légère. Les doigts de Gatien enlacés aux miens, je suis debout sur le balcon, heureuse comme un oiseau, avec cette vue incroyable sur la baie de Marseille. Je souris.
Je range mon sac, vérifie mes livres, mes classeurs, puis place entre deux feuilles le sachet contenant l’herbe. Je calcule combien je pourrais mettre de côté chaque mois si j’en vendais le double voire le triple, puis, vite fatiguée par cette série d’opérations ennuyeuses, j’abandonne. Après avoir pris une douche, j’arrange d’un revers de main les boucles de ma chevelure auburn de façon qu’elle retombe élégamment sur mes épaules. Je souligne mes yeux verts d’un trait d’eyeliner et peins mes ongles d’un vernis rouge carmin. Tout en me scrutant dans le miroir, je me demande s’il ne serait pas judicieux ce soir de porter un jean plutôt qu’une jupe. Mes fesses sont énormes. J’enfile un ensemble de dessous en dentelles, une paire de collants, mon slim noir, et ce joli chemisier fleuri que j’ai acheté hier rue Paradis.
Le mistral continue à souffler. Je récupère deux billets de cinquante cachés eux aussi dans le tiroir situé sous mon sommier. Je tire sur la couette. Lisse les derniers plis réfractaires. À ce moment, Maman entre dans ma chambre sans frapper. Je me relève précipitamment et repousse le tiroir du talon, tout en glissant les billets dans la poche arrière de mon jean. Elle s’arrête un instant, renifle l’air et, se redressant, droite comme un I, le menton en avant, s’adresse à moi d’un ton un peu trop neutre pour que le pire ne survienne pas d’une seconde à l’autre. Elle veut savoir quand je vais me décider à ranger tout ce bazar, si j’ai bien rempli mon dossier d’inscription au Capa et, surtout, avec quel argent j’ai bien pu m’acheter ce cabas en cuir de marque hors de prix.
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Le mistral frotte la surface de la mer. Des vagues blanches s’agitent. Chaque nouvelle rafale emmêle mes cheveux et me pousse vers l’avant. De temps en temps Maman renifle, sa bouche se tord et une larme coule sur sa joue. Jacques fume un cigare en regardant le bulldozer orange manœuvrer devant le cabanon.
Le bip-bip de l’alarme de recul retentit. Je plisse les yeux et enfonce les poings dans les poches de mon trench. Mes orteils nus collent à la semelle en cuir de mes boots.
– Qu’est-ce que tu t’imaginais, dit mon oncle en recrachant la fumée vers le visage de Maman, que t’allais pouvoir transformer cette verrue en spa ? Creuser la roche, installer l’eau, l’électricité, le wi-fi ? Mais enfin, Viviane. Sois réaliste. Depuis le temps qu’à la mairie ils voulaient le bazarder, ce cabanon…
– Arrête de me prendre pour une idiote, elle lui dit, dissipant d’un revers de main la fumée devant ses yeux. Je me suis renseignée. C’est toi qui leur as demandé de venir, Jacques.
Le bras articulé de l’engin se déploie.
Maman pose les mains sur son crâne et hurle : – Non!
La machine s’immobilise. Le conducteur se retourne, lance un regard interrogateur dans notre direction. Jacques tire Maman par le bras et lui ordonne de la fermer.
– Qu’est-ce qui te prend, d’un coup ? il dit tout en faisant un grand geste d’approbation au type des services techniques.
Le bras de fer se ranime.
– Pourquoi, elle dit, pourquoi ça?
Jacques l’interrompt:
– Tu vas t’arrêter, nom de Dieu ? Combien de fois je vais devoir te le répéter? J’ai besoin d’espace pour construire ma terrasse. Je suis sur le point d’obtenir une étoile supplémentaire, Viviane…
La pelle mécanique s’incline vers la toiture et arrache la poutre principale. Dans un bruit d’enfer, les murs cèdent. Une poussière de plâtre se répand dans l’air. Maman est prise d’une quinte de toux, et ce qui reste de la petite maison blanc et bleu de Papi s’écroule.
Jacques détourne les yeux vers la mer puis porte à nouveau son cigare à ses lèvres.
– Ça aura de la gueule, tu verras.
Le vent et la mer grondent. Jacques avance de quelques pas en direction des rochers. Mon oncle, cheveux noirs hirsutes, vêtu d’un costume croisé anthracite, tire sur son cigare en regardant l’écume laiteuse se jeter contre la paroi calcaire.
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La salle principale du restaurant jouit d’un magnifique panorama sur les îlots rocheux.
Maman renifle, installée à l’une des tables déjà dressées, manteau rouge sur les épaules, bras et jambes croisés. Ses genoux frôlent la nappe blanche, aux verres ballons et aux serviettes pliées en accordéon. Ses yeux sont humides, son regard plonge dans le vide.
Juste à côté, dans la partie bar tapissée de photos de soirées, debout derrière le comptoir, Jacques se sert un pastis. Le bruit des glaçons et du liquide versé dans le verre de cristal résonne dans la pièce.
Je vais m’asseoir sur le rebord de la baie vitrée. Maman s’allume une cigarette, Jacques vide d’une seule gorgée son verre, et soudain, dans l’encadrement de la porte, Papa apparaît. En ciré de plastique jaune et bonnet marin plein d’algues, il porte à bout de bras deux caisses remplies de langoustes entassées les unes sur les autres.
Immédiatement, Jacques se jette sur lui et dégaine une liasse de billets froissés qu’il lui refile en échange de sa pêche du matin.
Un des cuisiniers, un type au fort accent, l’économe à la main et une carotte dans l’autre, débarque en demandant s’il peut aider Papa à ranger les bestioles au frigo.
Papa l’envoie balader:
– Retourne à tes pois chiches.
Il lui dit ça en le regardant avec mépris.
Le mec fait volte-face, sans la moindre expression sur le visage. Papa dépose les caisses par terre puis, un long moment après avoir fixé, les yeux grands ouverts, le tas de billets au creux de sa main épaisse et large, il enfourne l’argent dans la poche arrière de son jean dégueulasse.
Jacques récupère les caisses et marche vers la porte de service, direction les cuisines. Papa lui emboîte le pas en marmonnant dans sa barbe :
– Connard d’Arabe.
Maman se lève de sa chaise et s’écrie :
– Julia, on y va, ça suffit !
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