AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

    Herve-Lionel le 21 mai 2021
    N° 1545 - Mai 2021
    Pour ne pas oublier Bernard Drupt.




    « La Feuille Volante » a notamment pour but d’évoquer la mémoire de ceux ont elle a parlé et qui ne sont plus afin qu’on ne les oublie pas. Parmi eux, le regretté Bernard Drupt (1921-2006). Je retrouve dans mes archives personnelles un de mes articles paru dans le n°294 de« La Revue indépendante » de Mai-Juillet 2003 .




    Dans le n° 289/290 de la très appréciée « Revue indépendante » , Bernard Drupt annonce sa démission « des postes » de secrétaire général, trésorier, « homme de peine », rédacteur en chef exercés depuis combien de temps déjà ? (37 ans NDLR).

    Le titre de son édito (« Pour qui sonne le glas ») en dit assez long sur son état d’esprit et surtout sa fatigue, son découragement parfois. Son ami André Fonnet (qui est aussi l’auteur du logo de « La Feuille Volante ») lui a apporté aide et soutien dans cette entreprise d’autant plus intéressante qu’elle est désintéressée.

    ll ne m’appartient pas de connaître les raisons de ce choix que j’imagine douloureux, mais, lecteur attentif de cette revue depuis bien des années , j’avoue que l’absence de Bernard Drupt se fera sentir, que cette institution qu’est « La Revue indépendante » y perdra sans doute quelque chose, peut-être un peu de son âme, de sa spécificité, de sa différence, de son indépendance…

    Ce n’est sans doute pas un hasard si paraît aux éditions Publibook son dernier livre « Pouvoir le dire » (Chroniques 1995 – 2001) qui reprend ses éditoriaux que nous apprécions tous.

    Je ne veux pas me livrer à un panégyrique de l’écrivain qu’il est, ni du journaliste qu’il sera toujours, spectateur critique de ce monde qui de plus en plus va à vau l’eau et dont il n’a jamais oublié « en toute indépendance » de dénoncer les scandales politico-financiers quand, à ses yeux, ils méritaient de l’être.

    Le pamphlet est un art qui se perd de nos jours, surtout quand tant de journalistes, et des plus connus, se rapprochent du pouvoir politique de quelque côté qu’il penche, pour en recueillir les honneurs et parfois les miettes.... Chez Bernard Drupt, point de compromissions, mais un art consommé de la raison et du discernement , rappelant sans doute à sa manière le mot de Beaumarchais « Sans la liberté de blâmer il n’est point d’éloge flatteur ».

    Ses détracteurs pourront dire de lui qu’il est d’une autre époque. Et après? L’expérience des aînés n’a jamais fait de mal aux autres générations. Notre société l’a un peu oublié et quand on exhorte les jeunes à la lecture qui peut parfois, ô miracle, se transformer en envie d’écrire, on ne va tout de même pas l’en blâmer !

    J’ai déjà dit dans cette revue combien j’apprécie son talent d’écrivain. J’ajouterai qu’il sait rester humble devant cette merveilleuse alchimie de l’écriture qui fait que les mots s’installent sur la page blanche sans que l’auteur sache vraiment pourquoi. Certes, il ne lui suffit pas de se à laisser aller son inspiration, il faut, il le sait, de la sueur, du travail, de « l’orpaillage », et tout simplement de ne pas avoir peur d’avouer lire les autres… Et lui de rappeler à propos ce mot de Clément Marot « Un homme ne peut bien écrire s’il n’est quelque peu bon lisant ». C’est grâce à cette soif d’écriture et de lecture que Bernard Drupt sera toujours là pour notre plaisir.

    Mais revenons à ce recueil d’articles qui dénonce sans arrangements les vices de cette civilisation où bien souvent on marche sur la tête. Je dirai qu’il a cette qualité extraordinaire d’être un autodidacte. J’attache en effet une extrême importance à ceux qui ont appris par eux-mêmes et qui aiment faire partager leur expérience des choses apprises « à l’école de la vie » qui, si on en juge par ses ouvrages déjà parus, n’a pas été forcément tendre avec lui ! Mais qu’importe, chacun fait son parcours sur terre suivant un improbable destin auquel il ne peut échapper !

    C’est vrai que ce qu’il a écrit souvent dérange, qu’on peut voir chez lui un air un peu contempteur ! Et après ? Ce qu’il dit est juste et il n’en rajoute pas (au contraire sans doute), il a le mérite de pointer du doigt les dysfonctionnements de notre société dont la vie ne lui est pas indifférent. Il est un « veilleur » comme savent l’être les humanistes militants, toujours désireux de conserver les droits chèrement acquis par les générations précédentes.

    C’est qu’il rappelle bien des vérités élémentaires, que nous sommes en France dans une démocratie qu’il faut préserver, qu’il faut être vigilant car le totalitarisme n’est jamais très loin, que le droit de vote est aussi un devoir (celui de l’expression), que la morale n’est pas l’apanage des religieux, qu’il faut toujours « raison garder »...

    Il se canonne aux choses simples, celles qui s’étalent chaque jours sous notre nez au point que trop indifférents ou trop pressés nous n’en voyons même plus les outrances. Tous ces passe-droits, toutes ces prébendes largement distribuées à une clientèle électoraliste, tous ces scandales qui font honte à notre république. On n’en finirait pas d’égrener les injustices qui n’ont même plus leur place dans la presse officielle. Bernard Drupt a eu le courage de tout dénoncer, même s’il ne se fait aucune illusion sur la mémoire qu’il sait « courte » de ses compatriotes, qu’ils ne « sont pas facile à bouger », qu’il n’est pas facile de tordre le cou aux vieilles idées reçues…

    Il fustige la palinodie, la « télé abrutissante », le gaspillage de l’argent public qui, on l’oubli un peu trop facilement à pour vocation d’être redistribué aux plus défavorisés et à être dépensé pour le bien de la collectivité (air connu et vœu pieux), que nous devons rester dans l’État de droit et ce sur tout le territoire de la République, que les fonctionnaires doivent par leur travail montrer l’exemple, comme les politiques, comme les éducateurs du secteur public et du secteur privé (comme s’il y avait une différence en terme d’éducation. A qui la faute, martèle-t-il ?), que nous sommes égaux devant la loi… mais que certains sont plus égaux que d’autres… Mais voilà, c’est que notre homme n’a pas peur de parler vrai et de mettre les responsables souvent satisfaits d’eux-mêmes devant leurs contradictions !

    Ce n’est pas un rôle facile, toujours sur la crête de indépendance en ne roulant pour aucun parti politique, sachant dénoncer quand il le faut et approuver aussi quand c’est nécessaire, quelque soit le parti au pouvoir, vilipendant «  les grands qui se conduisent en petits »qui, heureusement sont parfois épinglés par la justice.

    Pourtant, il le rappelle, la révolte ne doit pas être regardée « comme un soulèvement contre l’autorité, mais bien plutôt comme un refuge indigné de ce qui est prouvé comme intolérable », une sorte de voir en somme, un « acte citoyen » à l’heure où s’échafaude lentement les bases de la pensée unique, où depuis si longtemps on a laissé des zones de non-droit générant une sorte d’apathie générale du « laisser faire » qui insinue dans nos consciences la certitude que cela ne peut être autrement, qu’on n’y peut rien et que finalement il est plus simple de se voiler la face que de tenter sinon de résoudre le problème à tout le moins de le dénoncer ! Bernard Drupt combat cette force de l’habitude, ces citoyens passifs autant que celle lassitude qui nous fait tout accepter et qui pousse petit à petit les valeurs de cette république et de cette démocratie auxquelles nous tenon tant vers l’anarchie ou le totalitarisme ! Il faut rester vigilant pour ne pas laisser s’installer des minorités qui n’aspirent qu’à imposer leur loi au plus grand nombre par la terreur, la persuasion ou Dieu sait quoi !

    Et puis il y a la défense des plus défavorisés, des plus démunis, simplement parce qu’il se souvient qu’il a fait partie de ceux que bien souvent la société oubliait. Ne pas perdre la mémoire fait aussi partie de son combat!Il y a de quoi être écœuré à ce spectacle et il se surprend lui-même à dire « Bon j’arrête », mettant un point final (temporaire) à sa révolte contre les travers d’une société qu’il voudrait plus juste. Lecteur assidu de la presse, il aiguise son sens critique toujours en éveil, remettant les choses à leur vraie place, jugeant ouvertement l’Église, les académiciens français, les États-Unis, la France…

    On pourrait dire qu’il est facile de manier les mots, de s’en prendre au politiques dans un pays où l’antiparlementarisme est presque une institution certes, mais le problème est ailleurs et le journaliste autodidacte qu’il est reste pertinent et impertinent. Qu’ils sache que c’est pour cela qu’on l’apprécie (je partage d’ailleurs avec lui l’importance de l’heure du rasage, moment exceptionnel bien qu’apparemment quotidien et anodin où, face à sa glace on a devant soi l’image inversée de soi-même , comme un Janus et qu’on est, face à son propre reflet son seul juge étonnamment objectif et impartial et qu’il est important qu’on puisse se regarder en face.)

    Il y a cependant un article qui manque dans ce recueil, celui où il piqua une colère mémorable parce qu’un parti politique s’était emparé impunément du nom de cette belle revue, créée entre autre par George Sand ! Là aussi il a prouvé qu’il est un gardien efficace qui ne transige pas.

    Hervé-Lionel









Pour participer à la conversation, connectez-vous

{* *}