La parution, en 1952, du Saint Genet de Sartre aura décidément représenté un événement de grande ampleur, dont tout indique qu’il est important d’y revenir aujourd’hui afin d’en prendre l’exacte mesure et de mieux comprendre ce qui a pu se jouer là, à une date finalement assez récente, d’une longue histoire passionnelle entre la philosophie et la littérature ou le poème. Livre passionnant, révélant la violence de la guerre engagée entre philosophie et littérature, en tout cas entre une certaine philosophie et ce qui dans la littérature moderne manifeste une proximité énigmatique à la dimension de la sainteté, jusque-là principalement définie dans notre culture par le discours et le dogme de l’Eglise chrétienne. Quelque chose d’essentiel, visiblement, se joue là entre une philosophie qui ne veut rien savoir de la religion et de la théologie et cette puissance nouvelle d’une littérature prenant en charge cette dimension de la subjectivité, du sujet au destin, jusque-là commandé par le discours chrétien où s’assurait l’entrelacs complexe et savant du désir, de la jouissance et de l’amour : autant dire que le débat, toujours actuel, entre la philosophie et la littérature est aussi le débat de la philosophie avec ce qu’elle entend et ce qu’elle ne veut pas entendre de la théologie jusque dans la littérature. Nous avons vu comment cette vérité venait au jour dans l’intervention singulière de Bataille, de « saint Bataille » jouant ensemble la philosophie, l’expérience érotique, la fiction et la théologie ou la mystique, dans le moment où Heidegger de son côté déplace l’ensemble du socle philosophique à partir de Nietzsche et du poème de Hölderlin.