J'ai hésité longtemps avant d'écrire ce livre. Je pensais que d'autres le feraient, que les paradoxes qu'il distingue et les idées reçues auxquelles il tente de s'opposer seraient dévoilés bien avant que j'aie terminé mon texte, que les progrès de la science le rendraient inutile. Mais rien ne change, ou presque. Le diabète a submergé nos sociétés ; inexactitudes et annonces sans lendemain persistent. On trouve des voix discordantes sur beaucoup de sujet mais pas sur celui-ci.
J'ai hésité parce que je n'avais pas envie de m'immerger dans cette maladie, déjà bien envahissante. Par peur aussi d'être indécent : un tel ouvrage doit être personnel et subjectif ; non par égotisme ou pour étaler mes petits malheurs, mais parce que nous sommes nombreux à avoir éprouvé les mêmes choses, sans que ce soit formulé publiquement.
J'ai hésité car j'avais peur d'être illégitime. Je ne suis pas médecin, je ne suis pas économiste, je ne suis pas patient expert. Être diabétique insulinodépendant depuis quarante ans ça n'autorise pas grand chose. Je ne vis pas du diabète, je le vis, je le subis comme tant d'autres.
Et puis je ne suis pas non plus un procureur, un chevalier blanc ou un lanceur d'alerte. J'aurais bien aimé faire un livre coup de poing, une dénonciation, finalement assez confortable, des dérives de la médecine et de l'industrie pharmaceutique. La réalité est plus complexe : il n'y a pas de scandale, c'est pire.
Ce n'est donc pas un dossier noir mais un dossier gris. J'ai essayé d'accueillir des points de vue contradictoires, d'éviter l'indignation et le manichéisme. J'ai choisi les chiffres les moins accablants, les fourchettes basses. J'ai essayé de dominer ma colère.
Il y a beaucoup à dire sur le diabète. Des choses quu nous concernent tous. C'est le miroir de notre civilisation, de nos modes d'existence, d'une organisation économique. Le sucre aussi. Il est partout, il règne. Essayons de comprendre. Cap sur l'archipel du diabète, le pancréas et les îlots de Langerhans.
« Sur le stand de Sanofi, une commercial me propose un jus d’orange, elle doit offrir des briquets Marlboro quand elle rend visite aux cancérologues. »
« Si les médecins pouvaient sauter à l’élastique, ils comprendraient les hypoglycémies. »
« Cette vie quotidienne en algorithme dissocie nourriture, appétit et plaisir. Tout désir est surfacturé. Il faut prendre la vie du bon côté mais avec une calculette. »
C'est comme si elle confiait aux vaches la perception du monde propre à son âme, une intuition de non-sens, une prescience de l'absurde.
Mes parents viennent de lire Soljenitsyne, qui dévoile les méthodes de "psychiatrie punitive" pratiquée par l'URSS sur ses dissidents. La cure d'insuline et les comas qu'elle engendre figurent en bonne place dans l'arsenal répressif communiste. C'est le seul exemple de traitement dont j'ai alors connaissance.
Le plus souvent, le manque de sucre rend violent et faible, quand son excès abrutit, engourdit, endort. Est-ce que je suis déprimé parce que j'ai trop de sucre ou est-ce que la glycémie augmente parce qu'on est déprimé ? Probablement les deux.