Bertrand Gallicher

Bertrand Gallicher est une voix reconnaissable entre toutes sur les ondes de Radio France. Après un premier livre consacré à l’Allemagne, écrit sur le vif, alors qu’il était l’envoyé spécial permanent à Berlin de France Info, et joliment titré « L’Allemagne au pied du mur » (La table ronde, 2009), le grand reporter au service étranger de France Inter interroge le couple franco-allemand. Existe-t-il un marché de dupes qui consisterait pour la France à attendre de l’Allemagne une hypothétique relance européenne et pour l’Allemagne à imposer à ses partenaires une austérité qu’elle seule est capable de respecter ?



La relation est de plus en plus asymétrique entre l’Allemagne qui affiche une insolente croissance et réélit triomphalement sa Chancelière pour un troisième mandat consécutif et la France, incapable de maîtriser la dérive de ses comptes publics, dont le Président touche des abîmes d’impopularité.



Alors que la France ne réussit pas à inverser la courbe du chômage, l’Allemagne connaît le plein emploi. Le doit-elle à une démographie déclinante qui lui évite d’accueillir chaque année sur le marché du travail 150.00 nouveaux arrivants comme en France, au risque à moyen terme de connaître un inexorable vieillissement ? L’argument n’est pas nouveau ; mais il est d’autant moins convaincant que les Allemands en ont pleinement conscience, qui réfléchissent dès aujourd’hui au moyen d’accueillir une main d’œuvre immigrée, mieux formée – et mieux assimilable – que les Gastarbeiter turcs des années 60.

Pour Bertrand Gallicher, la clé du succès de l’industrie exportatrice allemande (1.100 milliards d’euros d’exportation contre 450 milliards seulement pour la France) réside dans son Mittelstand, ces grosses PME essaimées sur tout le territoire qu’une longue tradition historique a toujours poussées à chercher de lointains marchés. Renouant avec l’éloge désormais bien connu que Michel Albert tressa il y a plus de 20 ans du « capitalisme rhénan », l’auteur énumère les avantages comparatifs de ce capitalisme familial, plus soucieux de la rentabilité de long terme que de la valorisation immédiate, attaché à la fidélisation de ses salariés lesquels, se sachant à l’abri d’un licenciement, acceptent en retour des baisses temporaires d’activité et de salaire lorsque les commandes se réduisent.

Autre handicap structurel de l’économie française face à l’Allemagne, le prix rédhibitoire de l’immobilier, notamment à Paris. L’épargne des ménages est siphonnée par l’achat de la résidence principale et le remboursement des prêts qu’il nécessite. La comparaison est cruelle pour le couple de jeunes cadres qui trouve à Berlin un confortable appartement de 150 m² là où le même couple trouve, plus cher, un appartement deux fois moins grand dans une banlieue parisienne excentrée dont l’achat l’obligera à un coûteux endettement. L’hyperconcentration de l’activité économique en Ile de France y a sa part de responsabilité alors que « le fédéralisme [allemand] agit comme modérateur des prix de l’immobilier » (p. 190).



Bertrand Gallicher n’est pas optimiste. Certes, les Allemands ne se réjouissent pas des difficultés rencontrées par la France mais espèrent le sursaut de leur premier client. Et quelques prurits de germanophobie dans la classe politique française ne doivent pas cacher l’admiration que l’Allemagne suscite en France. Pour autant, le volontarisme politique affiché par François Hollande – avec lequel le journaliste a eu au milieu de l’été 2013 un long tête-à-tête – suffise à combler le fossé qui se creuse entre les deux rives du Rhin.