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Citation de hcdahlem


(Les premières pages du livre)
Petite dédicace
Vendredi 24 septembre 2021
Je viens de perdre un patient.
Ça arrive, ça fait partie du « job ».
Ce n’était pas le patient que je voyais le plus, ni le plus bavard. De ces gens dont la parole est rare, un clown triste.
Je vous fais part de cette anecdote, même si le mot me gêne ici, car il avait été touché par un de mes précédents romans, Aurore. Le sujet traité – la vieillesse, la solitude, le besoin des autres – le préoccupait beaucoup. Il disait souvent : « La vieillesse est un naufrage. »
Récemment, il avait acheté cinq exemplaires de mon livre pour les offrir à ses amis proches.
Ce matin, une femme m’a téléphoné pour m’annoncer qu’il était décédé, qu’il s’était suicidé dans la journée de mardi.

Il avait rendez-vous avec moi le matin même, mais il avait annulé.
Cette amie de Gérard m’a dit : « Je ne sais pas pourquoi je vous appelle ; j’en avais envie. J’ai lu le livre que Gérard m’a offert, il avait été touché par l’histoire, moi aussi, il parlait souvent de vous… »
Je raccroche, ému par ce coup de téléphone, par l’annonce de la perte d’un patient à part. Une heure plus tard, une autre de ses amies, une infirmière à qui j’avais dédicacé Aurore, m’appelle à son tour, elle non plus ne sachant pas trop pourquoi, mais un besoin…
Nous, les auteurs, écrivons des histoires, inventons, brodons, mélangeons le réel et l’imaginaire. La portée de ces histoires, ce qu’en font les gens nous échappent.
Je n’avais pas imaginé que ce patient choisisse de partir si vite. Je le savais désenchanté, mais pas à ce point. Le fait qu’il distribue Aurore à ses amis avant de décider de mourir, j’ai l’impression qu’il s’en est servi comme d’un message.
J’étais en train d’écrire ce nouveau roman, j’ai mis un peu de lui dedans, ça lui aurait plu, je pense.
Alors, à Gérard.

Limerick, Irlande
Vous nous avez sauvé la vie et nous vous en remercions infiniment.
Selon vos conseils, nous nous sommes rendus aux services sociaux de Limerick, mais nous ne rentrions dans aucune case. Pour toutes les aides, tout était trop compliqué.
Quand vous êtes vieux, la société ne veut plus de vous et vous le fait sentir, vous êtes un poids pour qui veut avancer. Les vieux, on les voit aux caisses des supermarchés, à remplir les sacs de courses des clients, à distribuer des prospectus, mais ils ne font déjà plus partie de cette vie.
Nous avons été traités comme des sans domicile fixe, des marginaux, par ces gens censés nous venir en aide.
Nous avions tout, un pub, un toit pour nous abriter, nous n’avons plus rien.
Quand les portes se ferment, vous comprenez qu’il ne reste qu’une seule issue.
Nous avons insisté, avec mon épouse, poussés par le soutien de votre main tendue au bord de la falaise. Nous avons insisté en souvenir de vous, en nous disant que cette société, c’était aussi des personnes comme vous.
Aujourd’hui, nous sommes donc retournés à l’antenne sociale, où cet homme nous a reçus.
Il a refusé de nous aider, comme les autres. Au moment de repartir, il pleuvait, il y avait du tonnerre, nous n’avions pas emporté de parapluie, et quand nous lui avons demandé s’il pouvait nous en prêter un, il a répondu : « Et puis quoi encore ? » Il nous a pris sans doute pour des mendiants.
Notre vie ne pouvait pas continuer à être cela, être regardé de travers, sentir que vous coûtez plus cher que vous ne rapportez.
Alors nous lui avons demandé si la solution n’était pas de disparaître complètement. Sans lever les yeux, il a marmonné que ce n’était pas son affaire.
Nous avions décidé de sauter de ces falaises, vous le savez ; pourtant, grâce à vous, nous avions repris courage et étions prêts pour un nouveau départ.
Mais toute cette errance est épuisante, et nous n’avons plus l’énergie de nous battre.
Même morts, nous n’oublierons pas les mots de cette personne aux services sociaux, « Ce n’est pas mon affaire ». Nous n’oublierons pas non plus les vôtres et combien vous vous êtes efforcé de nous aider.
Nous sommes passés en quelques jours du désespoir à l’espoir, qui a été ensuite réduit en miettes.
Bien que ma femme et moi ayons peur de mourir, nous avons pris notre décision et prions pour qu’à l’avenir personne n’ait à suivre le même chemin que nous.
Ted et Kelly O’Reilly

1
C’était une lettre écrite sur un bout de papier, l’enveloppe à mon nom, sans timbre, fermée par un pansement. Une lettre d’adieu à mon intention. Cette lettre a déterminé ma mission, ma vie.
Depuis toujours, j’étais confronté à la réalité de cette falaise. Je venais pêcher dans les eaux froides qui la fouettent les jours de gros temps. J’observais les oiseaux qui nichent dans ses recoins, allongé sur l’herbe humide, les doigts bien agrippés au bord, seule ma tête dépassant dans le vide. Je porte en moi le souvenir du vent remontant le long des parties abruptes, assourdissant, chargé d’écume.

Ce soir, comme tous les soirs depuis cette lettre, je commence ma ronde.
Je finis ma cigarette, attends patiemment l’heure bleue, celle qui suit le crépuscule. Ce moment de la journée entre chien et loup. C’est là que les candidats au suicide se montrent, s’approchent.
Le coucher de soleil est magnifique ici, peut-être le plus beau d’Irlande. Au loin, Spanish Point, immense baie de sable blond avec ses surfeurs. Il n’y a que les phoques et les Irlandais qui puissent se baigner dans ces eaux froides. Les seuls dont le sang ne craint pas le froid.
Mes désespérés viennent ici, à Kilkee, plutôt qu’à Moher, car si les falaises y sont tout aussi impressionnantes, il y a moins de touristes et l’on peut s’approcher du bord sans éveiller les soupçons des gardes. Certes, elles sont moins hautes que leurs célèbres voisines, mais l’équivalent de dix étages, cela suffit pour être sûr de mourir.
La réalité de cet endroit pour moi, depuis cette lettre, c’est que des gens viennent s’y tenir face au vide, celui de la falaise, celui de leur vie. Je n’y avais pas prêté attention avant tout ça, avant Sinead, avant le couple O’Reilly.
Je me suis renseigné, il y a toujours eu des suicides ici, mais il y en avait moins autrefois.
Avant, on se suicidait par désespoir amoureux, par folie ; pas parce que la vie est devenue trop dure. Parce que c’est nous qui l’avons rendue ainsi.
Généralement, je cherche les endroits où ils se cachent en attendant qu’il n’y ait plus personne, après avoir vu le dernier coucher de soleil de leur vie.
On pourrait mettre des barrières, mais je crois que cela fait venir les touristes. Aujourd’hui, dans les minicroisières qui partent vers les îles d’Aran, il est fréquent de leur montrer ces falaises meurtrières en faisant un décompte morbide : « Ici, depuis le début de l’année, quinze personnes ont trouvé la mort… » Qu’est-ce que pensent les vacanciers en entendant ça ? « Oh, c’est romantique de se suicider par amour, comme Juliette » ? Est-ce qu’ils espèrent se procurer des frissons si jamais quelqu’un fait le big jump au moment où leur bateau passe ?
Comme si le suicide était devenu une attraction en soi. Comme en tout, le profit est privilégié au détriment de l’humain et personne ne veut que ça change. La société a amené ces désespérés ici et continue de profiter d’eux, même morts.
La cabine téléphonique sur la corniche, c’est comme un dernier rempart. J’y laisse des affaires qui peuvent rattacher à la vie, une bible, des pièces pour acheter un billet retour pour Limerick, une carte de téléphone, des cigarettes…
Certains acceptent directement mon aide, d’autres plus difficilement. Mon approche est toujours la même : « Bonjour, ça va ? Qu’est-ce qui vous amène ici ? »
Qu’un autre être humain leur parle les surprend, leur fait du bien. Ils existent à nouveau.
Certains me répondent, d’autres fixent le sol, d’autres encore se mettent à trembler, fondent en larmes dans mes bras.
Aucun ne se jette du haut de ces falaises sans hésiter. Souvent, il leur faut la nuit entière pour rassembler leur courage. J’interprète cette attente comme l’espoir que quelqu’un vienne les sauver, jusqu’à la dernière seconde.
Alors je pose ma main sur leur épaule et je les écoute.
Il y a aussi ceux qui m’envoient promener : « Ça ne vous regarde pas, ça ne regarde que moi. » Même cette réponse, c’est un appel au secours. Donner des conseils ou faire la morale, ça ne sert à rien. Si je veux qu’ils s’en sortent, je dois faire le chemin à côté d’eux pour trouver la solution, prendre leur souffrance et marcher avec elle pour avancer.
Bref, me mettre à leur place. Je n’ai pas trop de mal, j’ai failli m’y trouver un jour.
J’en ai sauvé beaucoup, pas tous. Je suis une bouée, s’ils veulent me lâcher, repartir vers le bord, je n’y peux rien. Ceux-là laissent leurs chaussures, leur portable à l’endroit où ils sautent. Pour qu’on les retrouve, pour ne pas complètement disparaître, pour être enterrés convenablement.
C’est ici que j’ai rencontré ce vieux couple. Ted et Kelly O’Reilly. C’était peu de temps après avoir perdu Sinead, ma fille. J’étais là, en train de regarder la falaise, quand je les ai vus tous les deux, se tenant la main face à la mer. Ils avaient un pub à Limerick et avaient fait faillite. Ils n’avaient aucun moyen de rembourser leurs dettes. Je leur ai dit qu’il ne fallait pas mourir pour ça. Je croyais les avoir dissuadés de passer à l’acte et les avais orientés vers les services sociaux compétents… Quelques jours plus tard, j’ai reçu cette lettre, celle écrite sur un bout de papier. En la lisant, j’ai eu un choc violent, comme si un crime s’était commis devant mes yeux, comme s’ils avaient sauté devant moi depuis cette falaise.
J’ai appelé la mairie, où Ted et Kelly s’étaient rendus en dernier. On m’a passé le service social. Là, on m’a expliqué qu’ils s’étaient pendus dans le bois derrière les bâtiments. Je les ai traités de meurtriers, la mairie, les services sociaux. Parce que c’est ce qu’ils étaient, des meurtriers.

Cela fait quatorze ans que ma fille est morte, quatorze ans que j’arpente cette falaise. Je n
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