Il y avait aussi l'expression Michka au Pôle. Michka était le surnom affectueux de l'ours, le héros éternel du folklore et des contes pour enfants. Et Michka au Pôle, c'était une friandise simple et adorée de tout gamin soviétique , disponible dans chaque buffet familial, avec sa couche inévitable de chocolat et son enveloppe dessinée et colorée. Et sur ce papier: le dessin d'un ours polaire voguant, avec une sérénité héroïque, sur des blocs de glace immaculés, sous les cieux nocturnes et noirs de l'Arctique constellés d'étoiles. Mais Micha au Pôle, c'était aussi le sobriquet pour déporté ou expédié à l'ombre. A l'ombre en Sibérie, au Kamtchatka, sur l'île Sakhaline ou sur d'autres planètes perdues dans les espaces enneigés et infinis de notre immense Patrie.
Et c'est ainsi qu'étape après étape on avait épluché toutes les couches de leur appartenance à la Patrie immense, comme le dit la chanson célèbre. Comme on retire trois têtes d'ail d'une gousse, et ainsi séparées et oscillant désemparées, sur la planche à découper, on leur ôte les ultimes restes du caïeu épais et sec, puis on les abandonne, humides et minuscules, à leur nudité . Et, à la fin, en deux coups vigoureux d'un couteau aiguisé , on tranche les extrémités d'un côté, le germe et, de l'autre, la base durcie qui relie l'ail à la gousse. Et, dans un moment, pensa-t-il, ils allaient les écraser dans un presse-ail ou les découper en fines lamelles diaphanes avec le même couteau et les jeter dans une marmite de soupe bouillante, bouillonnante et fumante.
Chacun possède son "avant" : avant de retrouver les proches devenus étrangers qui "n'ont pas osé " et "sont restés", parce qu'ils préféraient qu'on fouille leurs âmes plutôt que leurs sacs à l'entrée de centres commerciaux asiates. Avant de revoir la Patrie trahie, qui, telle une vieille rombière, n'a rien oublié et va te claquer la porte au nez, et tu vas decouvrir que la serrure a été changée et que ta clé ne convient plus depuis bien longtemps. Avant de rencontrer un fantôme de nuage d'été et un "sirocco insupportable de 25° à l'ombre". Et surtout: chacun "avant" son saut dans l'abîme qui s'est creusé entre lui et lui-même.
Et "Michka au Pôle" , c'etait une friandise simple et adorée de tout gamin soviétique , disponible dans chaque buffet familial, avec sa couche inévitable de chocolat et son enveloppe dessinée et colorée. Et sur ce papier: le dessin d'un ours polaire voguant avec une sérénité héroïque , sur des blocs de glace immaculés, sous les cieux nocturnes et noirs de l'Arctique constellés d'étoiles. Mais "Michka au Pôle" , c'était aussi le sobriquet pour déporté ou expédié "à l'ombre". À l'ombre en Sibérie, au Kamtchatka, sur l'île Sakhaline ou sur d'autres planètes perdues dans les espaces enneigés et infinis de notre immense Patrie. Et ces endroits-là, où l'on est à l'ombre et où l'on déguste du Michka au Pôle, avaient reçu le nom estival de "camps". Et toute cette langue codée paraissait rigolote et amusante à Tolka, une sorte de jeu d'espions que les adultes avaient inventé afin d'épicer un peu leurs vies ternes.
Depuis toujours ou, du moins, depuis que les fils de sa mémoire avaient commencé à s'enrouler et à former la pelote de souvenirs de son enfance, Tolik aimait les trolleys à la folie. Il aimait les regarder, les attendre à l'arrêt, écouter le vrombissement de leurs moteurs, paniquer devant leurs dimensions monstrueuses. Chaque fois, son regard les considérait de nouveau comme un univers en soi, légendaire et secret, et dissimulé aux yeux des adultes.