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Citation de yaubree


Avec de moins en moins d’entreprises aux commandes du spectacle, les camarades avaient besoin d’adhérer à leur nouveau règlement : sur l’humour, sur la liberté d’expression, sur ce qui est drôle et ce qui est offensant. Les artistes – ou plutôt, dans le jargon local, les créatifs, comme la ville aimait les appeler – ne devaient plus repousser les limites, passer du côté de l’ombre, explorer les tabous, faire des plaisanteries déplacées ou avancer des opinions anticonformistes. Nous pouvions le faire, mais pas si nous voulions nourrir nos familles. Cette nouvelle politique exigeait de vous que vous viviez dans un monde où personne n’était jamais offensé, où tout le monde était toujours gentil et aimable, où les choses étaient toujours sans tache et asexuées, et même sans genre, de préférence – et c’est à ce moment-là que je me suis vraiment inquiété, avec des entreprises qui entendaient exercer leur contrôle non seulement sur ce que vous disiez, mais aussi sur vos pensées et sur vos impulsions, et même sur vos rêves. En raison de cette influence accrue de l’entreprise, avec les règles de l’Empire revenant à présent en jeu, les publics allaient-ils être en mesure de consommer du matériel non autorisé ou flirtant dangereusement avec la transgression, l’hostilité, le politiquement incorrect, la marginalité, les limites de la diversité et de l’inclusion forcées, n’importe quelle sexualité, ou quoi que ce soit qui pourrait être maudit par le désormais universel « déclencheur » ? Les publics étaient-ils prêts pour le lavage de cerveau, ou bien celui-ci avait-il déjà eu lieu ? Comment des artistes pouvaient-ils s’épanouir tout en étant terrifiés à l’idée de s’exprimer comme ils l’entendaient, à l’idée de prendre des risques créatifs qui dansaient parfois à la marge du bon goût ou même du blasphème, particulièrement en incluant les risques qui les autorisaient à se mettre dans la peau d’un autre, sans être accusés d’appropriation culturelle ? Prenez, par exemple, une actrice qui se voit refuser un rôle qu’elle voulait obtenir désespérément parce que – prenez une grande aspiration – elle n’était pas déjà exactement ce personnage. Les artistes n’étaient-ils pas supposés résider ailleurs, n’importe où, loin d’un lieu sûr et allergique au risque, loin d’un endroit où la tolérance zéro est l’exigence première et absolue ? Cela paraissait, à la fin de l’été 2018, non seulement une indication fort laide de l’avenir, mais l’ordre cauchemardesque du nouveau monde. Et l’exagération dont j’accusais les autres, je m’en rendais compte, je la formulais moi-même à présent – et je ne pouvais pas m’en empêcher.
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