Rencontre animée par Olivia Gesbert - Interprète : Marie Furthner
Los Angeles, 1981. Bret, dix-sept ans, plongé dans l'écriture de Moins que zéro, entre en terminale au lycée privé de Buckley. Avec Thom, Susan et Debbie, sa petite amie, il expérimente les rites de passage à l'âge adulte : alcool, drogue, sexe et jeux de dupes. L'arrivée d'un nouvel élève fait voler leurs mensonges en éclats. Beau, charismatique, Robert Mallory a un secret. Et ce secret pourrait le lier au Trawler, un tueur en série qui sévit dans les parages. Terrorisé par toutes sortes d'obsessions, Bret se met à suivre Robert. Mais peut-il se fier à son imagination paranoïaque pour affronter un danger menaçant ses amis et lui-même, et peut-être la ville et le pays entier ?Dans White, son livre précédent, Ellis écrivait : « Je grandissais au pied des collines de Sherman Oaks, mais juste au-dessous s'étendait la zone grisâtre du dysfonctionnement extrême. Je l'ai perçu à un âge très précoce et je m'en suis détourné en comprenant une chose : j'étais seul. » Les Éclats est le roman de ce détournement et de cette solitude.
À lire
Bret Easton Ellis, Les éclats, trad. de l'anglais (États-Unis) par Pierre Guglielmina, éd. Robert Laffont, 2023.
+ Lire la suite
Je ne veux pas de l'amour. Si je me mets à aimer des trucs, je sais que ça va être pire, que ce sera encore une chose qui me causera du souci. Tout est moins douloureux quand on n'aime pas.
- Moi, je viendrais à la cérémonie avec un fusil d'assaut Harrison AK-47, dis-je, épuisé, à bout de patience, avec un magasin de trente balles, si bien qu'après avoir fait éclater la tête de ta truie de mère, je pourrais continuer avec ta tantouze de frère. (P164)
Mon allégresse macabre a fait place à de l'amertume, et je pleure sur moi-même, sans parvenir à trouver la moindre consolation dans tout cela, je pleure, je sanglote "Je veux juste être aimé", maudissant la terre, et tout ce qu'on m'a enseigné : les principes, les différences, les choix, la morale, le compromis, le savoir, l'unité, la prière - tout cela était erroné, tout cela était en vain. Tout cela se résumait à : adapte-toi, ou crève.
Je possédais tous les attributs d'un être humain - la chair, le sang, la peau, les cheveux - , mais ma dépersonnalisation était si profonde, avait été menée si loin, que ma capacité normale à ressentir de la compassion avait été annihilée, lentement, consciencieusement effacée. Je n'étais qu'une imitation, la grossière contrefaçon d'un être humain.

Il existe une idée de Patrick Bateman, une espèce d'abstraction, mais il n'existe pas de moi réel, juste une entité, une chose illusoire et, bien que je puisse dissimuler mon regard glacé, mon regard fixe, bien que vous puissiez me serrer la main et sentir une chair qui étreint la votre, et peut-être même considérer que nous avons des styles de vie comparables, je ne suis tout simplement pas là. Signifier quelque chose : Voilà ce qui est difficile pour moi, à quelque niveau que ce soit. Je suis un moi-même préfabriqué, je suis une aberration. Un être non-contingent. Ma personnalité est une ébauche informe, mon opiniâtre absence profonde de cœur. Il y a longtemps que la conscience, ma pitié, l'espoir m'ont quitté, s'ils ont jamais existé. Je n'ai plus de barrière à sauter. Tout ce qui me relie à la folie, à l'incontrôlable, au vice, au mal, toutes les violences commises dans la plus totale indifférence, tout cela est à présent loin derrière moi. Il me reste une seule, une sombre vérité : personne n'est à l'abri de rien, et rien n'est racheté. Je suis innocent, pourtant. Chaque type d'être humain doit bien avoir une certaine valeur. Le mal, est-ce une chose que l'on est ? Ou bien est-ce une chose que l'on fait ? Ma douleur est constante, aigüe, je n'ai plus d'espoir en un monde meilleur. En réalité, je veux que ma douleur rejaillisse sur les autres. Je veux que personne n'y échappe. Mais une fois ceci avoué - ce que j'ai fait des milliers de fois, presque à chaque crime -, une fois face à face avec cette vérité, aucune rédemption pour moi. Aucune connaissance plus profonde de moi-même, aucune compréhension nouvelle à tirer de cet aveu. Je n'avais aucune raison de vous raconter tout cela. Cette confession ne veut rien dire.
Comment pourrait-elle donc comprendre que rien ne pourrait jamais me décevoir, puisque je n'attends plus rien ?

Où était la nature et la terre, l'eau et la vie, je vis un désert sans fin, semblable à quelque cratère, si dépourvu de raison, d'âme et de lumière que l'esprit ne pouvait le concevoir, à quelque niveau de conscience que ce fût et que, si l'on en approchait, l'esprit reculait, pris de vertige. C'était là une vision si claire, si réelle, si essentielle, qu'elle en était presque abstraite dans sa pureté. C'était là une chose que je comprenais, c'était ainsi que je menais ma vie, ce que je bâtissais avec mes moindres gestes, c'était ma façon d'aborder le tangible. C'était la géographie autour de laquelle gravitait ma réalité : il ne m'était jamais, jamais venu à l'esprit que les gens pussent être bons, ou qu'un homme pût changer, ou que le monde pût être meilleur au travers de ce plaisir que l'on prend à tel sentiment, telle apparence ou tel geste, à recevoir l'amour ou l'amitié de son prochain. Rien n'était affirmatif, le terme de "bonté d'âme" ne correspondait à rien, c'était un cliché vide de sens, une sorte de mauvaise plaisanterie. Le sexe, c'est la mathématique. L'individualité n'a plus lieu d'être. Que signifie l'intelligence? Définissez ce qu'est la raison. Le désir... un non-sens. L'intellect n'est pas un remède. La justice, morte. La peur, le reproche, l'innocence, la compassion, le remords, le gaspillage, l'échec, le deuil, toutes choses, toutes émotions que plus personne ne ressent vraiment. La pensée est vaine, le monde dépourvu de sens. Dieu ne vit pas. On ne peut croire en l'amour. La surface, la surface, la surface, voilà ce dans quoi on trouve une signification... C'est ainsi que vis la civilisation, un colosse déchiqueté...
Bien que je ne puisse cacher mon regard froid et que vous puissiez serrer ma main et sentir ma chair et même que vous puissiez penser que nos modes de vie sont probablement comparables : je ne suis tout simplement pas là
La civilisation ne peut exister sans quelques contraintes. Si nous suivions toutes nos impulsions, nous nous entretuerions.
- Il disait : "Quand je vois une jolie fille passer dans la rue, je pense à deux choses. Une partie de moi voudrait sortir avec elle, parler avec elle, être vraiment gentil, tendre, correct avec elle... Je m'interrompt et vide mon J&B d'une traite."
- Et que voudrait l'autre partie de lui ? demande Hamlin d'une voix hésitante.
- Elle voudrait voir de quoi sa tête aurait l'air, plantée au bout d'une pique.