Un photographe sédentaire n'est pas à l'abri des coups de canon, il est même en première ligne. En compagnie de Robert Giraud, de son interminable gauloise et de son "durillon de comptoir", dont "les broussailles favorites" étaient Maubert, Mouffetard, les Halles, Doisneau fit la tournée des rades de la nuit. Mademoiselle Anita, par exemple, fut l'une des sirènes de ces pêches miraculeuses, une colombe perlée tombée du ciel alors qu'il patientait pour écouter Jeanne Chacun, chanteuse tombée aux oubliettes. Rien n'est plus typiquement parisien qu'un bistrot. Rien n'est plus français qu'un litre de rouge étoilé. Rien n'est plus insaisissable que ces conversations à haute température, langues déliées, nuques dénouées, d'où surgissent comme des rots de bébés des bouts de phrases aussi tordues que des bretelles d'autoroutes.