C’est alors qu’Argynis, piqué au vif, s’apprêtait à répondre qu’il n’abandonnerait jamais les siens à leur triste sort, qu’un ivrogne s’approcha de leur table. Grand et gros, le type au visage rouge comme une forge transpirait la bière par tous les pores de sa peau. Il se pencha et éructa à la figure du petit homme :
— Eh, le gnome ! Ta tête me donne envie de gerber !
C’en était trop. Le nain, ainsi apostrophé, se leva brusquement, renversant le banc qui lui servait de siège. Debout, il n’était guère plus grand qu’assis, et des rires éclatèrent. Pourtant, il se lança en avant, se servant de son crâne comme d’un bélier, et percuta le provocateur qui alla s’écraser quelques pas plus loin, au beau milieu d’une tablée de quatre bonshommes à l’allure peu avenante. La vaisselle vola, des brocs se brisèrent… et le responsable de cette pagaille fut de nouveau projeté à travers la salle de l’auberge. Très vite, la bagarre devint générale, malgré les appels au calme du patron et les tentatives des soldats de prendre en main la situation.
Les deux elfes marchaient maintenant à grandes enjambées, comme s’ils se promenaient en terrain dégagé. Le petit homme trottinait derrière pour ne pas se laisser distancer. Mais la nature semblait peu encline à lui faciliter la tâche. Des branches d’arbustes, à peine plus hauts que lui, cinglaient son visage, et il ne cessait de buter sur des racines insidieusement placées sur sa trajectoire. Gildwin maugréait contre les arbres, contre la nuit, contre lui-même qui s’était montré incapable de se battre. Les elfes, et surtout Argynis, le prenaient sûrement pour un pleutre !