Si certains aspects de ce qu’on nomme en anglais le « transitioning », c’est-à-dire la réattribution sexuelle (et aujourd’hui « gender confirmation surgery » ou « chirurgie de confirmation de l’identité de genre ») recoupent le transhumanisme, transgenre n’est pas coextensif à transhumain. Il s’en faut d’un certain rapport à la chair, au sexe, c’est-à-dire à la mort. En effet le transhumanisme radical, en tant que millénarisme et annonce d’une grande césure dans l’historie de l’humanité, doit s’entendre comme une tentative d’en finir avec l’enveloppe charnelle. Non pas seulement l’augmenter en branchant le stuff organique sur les machines cyber mais au bout du compte se débarrasser de la « viande » (c’est le mot, déjà cité, qu’utilisent les transhumanistes radicaux pour désigner le cerveau-organe) pour ne conserver de l’humain que l’esprit. Une pensée sans corps, une intelligence sans « viande » (c’est-à-dire sans le vivant puisque viande, c’est vivenda, ce qui sert à la vie), telle est la sarcophobie assumée des transhumanistes radicaux. L’utopie transhumaniste vise à tuer la mort. Mais pour tuer la mort, il faut tuer le vivant. En cela consiste son aporie.
II. Trans et le sujet du judaïsme page 66
La vie : des lambeaux ou des miettes d’expérience, des morceaux de temps. Lire, se lire, se représenter, c’est, selon le mot de Michel Foucault, se déprendre de soi. C’est donc dans l’émiettement de l’expérience, dans la fragmentation de la mémoire que je fais sujet. C’est dans la passibilité à la diachronie, dans l’autre qui n’est pas simple alter ego mais tout autre, que je peux m’éprouver comme moi. Être transi par l’autre – ultime résistance à l’idéologie de la transparence et du Total Recall.
III. Transparution page 139
Efforçons-nous d’être plus clair : le transhumanisme propose de libérer l’homme des accidents de la création et de l’évolution. Mais voici qu’à la passivité de l’homme né, il lui substitue celle de l’homme fabriqué. L’abandon de l’homme jeté dans le monde est remplacé par l’aliénation de l’homme au contrôle de l’ingénieur ou du programme, à la merci des algorithmes ou des manipulations génétiques.
I. Comment la littérature est-elle possible à l’époque du transhumanisme ? page 29