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Citation de Charybde2


C’est comme si le regard forçait les formes à communiquer. Cette communication prend souvent l’aspect d’une parodie, un type de relations fondées sur des champs de références et de délégations. Une fourmilière dans un terrain vague, par exemple, parodie l’imposant hôtel Leland qui s’élève juste en bordure ; un panneau d’affichage annonçant « une vie meilleure » pastiche le quartier qui l’entoure.
Il existe aussi ce jeu spécial entre présence et absence, qui survient lorsque le sujet a été amputé de certaines parties, et c’est souvent le cas d’Uptown. De nombreux morceaux du puzzle manquent à l’appel. L’absence parodie la présence. C’est ainsi qu’un terrain vague devient une parodie de tout ce qu’il n’est pas : terrain de jeu ou marché couvert. Beaucoup d’immeubles sont flanqués d’un jumeau disparu qui se moque d’eux et les envie tout à la fois. Les espaces vides continuent de croître, ponctuant le quadrillage comme les trous d’une carte perforée ou les fenêtres brisées d’immeubles laissés à l’abandon. Et pareillement au temps et à l’espace, qui sont souvent interchangeables, futur et passé se conjuguent pour parodier le présent ; il en est ainsi des bâtiments promis à une prochaine démolition ou des fantômes de ceux qui s’élevèrent autrefois.
Le vide peut servir de prétexte à une ambition mercantile mais il encourage aussi la violence en poussant le moi à la possession. Entre Wilson et Magnolia s’étend un terrain vague propice aux combats de chiens. Ceux-ci éclatent spontanément, en dehors de tout instinct territorial, et ils parodient, en un sens, les luttes qui déchirent les êtres humains. D’ailleurs, ceux qui traînent autour des terrains vagues et passent leur temps à boire et à jurer sont très souvent enclins à la violence, qu’elle soit physique ou émotionnelle.
C’est la nature même de la parodie – témoignage de l’intelligence de l’univers – que toute chose finisse par se parodier elle-même ; c’est le sort des gens vivants à Uptown, qui incarnent la présence physique du quartier. Et comme la parodie est une forme de violence émotionnelle, il est compréhensible que ce soit la présence d’autres êtres humains semblables à eux-mêmes qui irrite le plus les gens. Cela fonctionne sur le même modèle que le miroir – par la raillerie.
Mais bon, Uptown est le secteur des tristement célèbres « immeubles corridors », ainsi baptisés par leurs propriétaires en raison de leurs intérieurs intimidants – des labyrinthes formés de longs couloirs bordés de portes anonymes. Ces bâtiments sont souvent humides et crasseux, parfois même hantés. Ils peuvent porter des noms majestueux comme Au blason Untel, Au manoir Tartempion. Certains n’ont qu’une adresse pour les définir, tel le fameux 4160 N. Malden, situé à l’angle sud-ouest du carrefour Magnolia-Wilson. Derrière sa façade fantaisiste se dissimule une vaste prison de deux pièces et de studios de dernière catégorie. La claustrophobie qui règne à l’intérieur de l’immeuble, inhérente à la rucge qu’on y découvre, pousse ses occupants dans la cour ; là, ils s’appuient aux palissades et font les cent pas, tout comme ils faisaient les cent pas dans les couloirs. Dehors, dedans, cela ne fait que circuler – l’intérieur doit communiquer avec l’extérieur afin de prouver d’une manière ou d’une autre que c’est différent et que cela mérite d’exister. Ça fait partie de l’énigme. (« Le damier des dindons »)
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